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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Rabbit Hole
USA / 2010
13.04.2011
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LE FILS CONDUCTEUR
« - J’essaye de redonner forme à tout ça .»
"S’il n’y avait pas ces lèvres refaites au collagène…. Nicole, autrefois vous étiez à la fois une belle comédienne et une tragédienne précise, mais vos lèvres… elles déforment votre visage. Que vous ayez mis une prothèse pour ressembler à Virginia Woolf, c’était dans l’habitude des performances d’acteurs hollywoodiens. Mais là, comme une Béart, vous n’arrivez plus à séduire tant vos lèvres sont trop pulpeuses, avancées, charnues, comme greffées à votre délicat visage…
Heureusement, il vous reste l’art de jouer. Rabbit Hole est le premier film digne de votre talent depuis Birth en 2004. Un bail. Entre seconds-rôles anodins et films trop confidentiels, productions boursoufflées et publicités agaçantes, vous aviez disparu dans l’œil du cinéphile. John Cameron Mitchell ne s’est pas trompé en vous offrant un rôle de rédemption. Le deuil. Comme celui de votre carrière post-Oscar. Rabbit Hole vous fait revivre à l’écran, et dans nos regards."
Dès la première image, cette bourgeoise qu’elle incarne new yorkaise replante des fleurs dans son jardin. Elle remue la terre, redonne vie à des végétaux. Métaphore discrète de son drame : un enfant enterré, une vie à continuer…
On est loin de la tonalité des précédents films de Mitchell. Hedwig and the Angry Inch était punk, Shortbus avait les rythmes d’une pop mélancolique, Rabbit Hole est comme une musique de chambre. Mais les trois évoquent des thèmes transversaux : l’incommunicabilité des couples, l’isolement psychologique, l’attirance de l’inconnu, la confrontation à la morale… à chaque fois, le cinéaste prend le point de vue qui n’est pas forcément celui de la majorité, se moquant de l’hypocrisie des entourages, des groupes d’anonymes névrosés en thérapie, de la ferveur religieuse. « Et si Dieu existait vraiment ? – ce serait un sadique d’enfoiré ». On arrive à en sourire.
Pourtant, ici, il y a eu un drame pesant, un accident. Un enfant est mort. Les parents sont perdus, ballotés par leurs souvenirs, leurs émotions, leur envie de survivre à cette souffrance insoutenable. Mais le coupable n’est pas blâmé. Au contraire, il devient la lumière qui va éclairer la mère sous un nouveau jour. Il est celui qui amène de la couleur (dans sa BD), de l’espoir (avec ses théories des univers parallèles). On regrette un peu que Mitchell ne pousse pas le fantastique plus loin en animant cela, en insérant davantage la fantaisie irréelle de ces créations illustrées. Cet onirisme est d’autant plus fort que le coupable de l’accident, un jeune homme qui a toute la vie devant lui, n’est ni un crétin, ni un irresponsable. Il est conscient. Cela donne une gravité, une maturité à l’ensemble du scénario qui est loin de l’adolescence des œuvres précédentes du cinéaste. Il est entré dans l’âge adulte.
Le réalisateur a opté pour une image sobre, où même le jour paraît un peu sombre, où la nuit semble plus fantasque. Il filme Kidman comme Kubrick l’admirait dans Eyes Wide Shut. La même lumière tamisée, la conversation du couple qui dévie sur le sexe, une incompréhension aussi béante qu’avec Tom Cruise…
Kidman porte le deuil de sa carrière passée. On l’a déjà signalé.
Parfaite : vulnérable, tendues à l’intérieur, vibrante, parfois impulsive. Et Aaron Eckhart lui rend la pareille avec son personnage plus soupe au lait, prêt à bouillir pour un rien, ému à chaque instant sans jamais gérer ses réactions. Le couple est à fleur de peau et le film hypersensible. Leur conflit, leurs différences, montre bien à quel point eux sont encore en vie. Mais ont-ils envie ?
La compassion, les conseils, leurs maladresses rythment une histoire maintes fois vues. Celle-ci, sans nous marquer, nous touche. Ici il y a peu de larmes. Juste un visage défait par la défaite de la vie face à la mort. La douleur s’atténuera mais ne s’effacera pas. Le récit est simple, sans effets particuliers. La mise en scène est humble. L’ensemble est fragile mais résistant.
Finalement, Kidman retrouve un personnage qui fait écho à son traumatisme dans Birth. Mais ici la renaissance est diffuse, incertaine. Rabbit Hole tire son nom du trou dans lequel plonge le lapin pour attirer Alice au pays des merveilles. Dans ce film, le pays n’a rien de merveilleux, mais la vie peut l’être, si l’on cultive son jardin secret, aux frontières de la folie. Nulle folie dans ce drame. Juste ses contours.
vincy
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