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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L'étrangère (Die Fremde)
Allemagne / 2010
20.04.2011
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INCENDIAIRE
« - Tu en veux trop.
- C'est toujours mieux que pas assez.»
On ne peut pas rester indifférent à L'étrangère. Dans le contexte actuel de stigmatisation de la population ayant pour foi l'Islam, des propos violents publics à l'encontre des immigrés, le film confronte les préjugés simplistes à une réalité comme toujours plus nuancée.
La cinéaste autrichienne Feo Aladags aborde le problème de l'immigration turque en Allemagne et de la communauté turque elle-même (et notamment de l'émancipation des femmes), comme aurait pu le faire Fatih Akin. Elle signe un drame tragique, intense, peut être trop à certains moments, mais d'une force irrésistible grâce à l'interprétation de Sibel Kekilli, déjà remarquée dans Head On de Fatih Akin (bis).
Si le film manque parfois de cette légèreté qui permet de respirer, la réalisatrice ne tombe jamais dans le pathos et impose un climat suffisamment pesant pour parvenir à ses fins : nous livrer un épilogue tendu et choquant. Brutal.
Ce portrait d'une femme qui subit sa fatalité de ne pas pouvoir vivre dans les règles de sa communauté, et de préférer un mode de vie étranger, est d'autant plus puissant que nous sommes immédiatement en empathie avec elle et ses souffrances. Et elle en a un paquet : le désamour pour son mari violent, l'incommunicabilité avec son père, l'incompréhension de la mère, l'intolérance de l'un de ses frères et toutes les violences verbales et physiques qui les accompagnent. « La main qui te frappe est aussi celle qui t'apaise». Terrible. Dans ce milieu misogyne, patriarcale, autoritaire, excluant, elle n'a pas sa place : elle aspire à la liberté, au droit de vivre comme bon lui semble, c'est-à-dire divorcée, avec son fils, en travaillant.
Ce qui la rend touchante c'est sa tentative désespérante de trouver un équilibre entre les deux mondes. Les uns la prennent pour une folle, les autres pour une inconsciente. Mais cette volonté de construire un pont entre la tradition, archaïque, et la vie moderne est amenée de manière impressionniste, par petites touches.
La soumission des uns fait ainsi place à la furie des autres. Tout le monde se ment pour éviter les conflits, mais tout le monde est capable d'accepter une solution finale au conflit. Ces deux extrêmes - diplomatique et barbare -, ce cul entre deux chaises construisent le film, et lui permettent de ne jamais tout à fait s’enfoncer dans l'horreur ou le binaire. Le film oscille entre le malheur de son héroïne et la quête de bonheur. La caméra est vive, en prise avec un réel, qu'il soit l'enfermement de l'appartement ou les évasions berlinoises. Elle se serre près des visages pour obtenir des réponses qui ne viennent pas ou pour souligner l’impossibilité du dialogue, ou elle prend la distance nécessaire pour montrer le vide qui envahit les personnages, pour s’éloigner de leurs démons.
La condition de la femme est presque filmée comme un documentaire. On reste stupéfait devant cette notion d'honneur qui domine celle de l'amour familial. On reste abasourdi par le fait qu'une femme ait moins de droits qu'un gendre.
Dilemme cornélien qui conduit le père à regretter que sa fille ne soit pas un garçon. Sans révéler sa décision finale, affreuse, insupportable, on devine qu'il fait son choix en Turquie en consultant un ancêtre, et qu'il oublie sa nature humaine, optant plutôt pour les lois et les principes d'une tradition d'un autre temps. On constate, par ellipses, avec effarement la désintégration du noyau familial et on devine une explosion atomique. Mais l'accident à venir n'est pas celui que l'on croit. Le destin est bien plus cruel.
Ainsi les hommes sont sauvages et les femmes complices. Cela pourrait s'appliquer à tellement de faits divers, de communautés. L'étrangère en devient universel. Car si elle est étrangère en Allemagne, étrangère dans sa propre famille, elle nous est bien familière. Face à l'isolement des Turcs, cette femme libre, cette fille maudite s'offre des respirations avec ses amis ou protecteurs Allemands ou assimilés. Oxygène nécessaire au milieu de toutes ces pressions qui étouffent notre héroïne et la renvoie à chaque fois dans une impasse. Elle se bat sachant son combat perdu d'avance. Cette tentation de l'autodestruction en fait une femme passionnante, honnête, lucide, se berçant d'illusions mais ne baissant jamais les bras.
Tragédie des liens du sang, il fallait que le sang coule, que tout le monde perde, que le pardon soit impossible, que tout cela les hante à jamais. Le final extrême nous scotche et nous habite longtemps après que la lumière soit revenue. Les idées noires perdurent.
vincy
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