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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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La dernière piste (Meek's cutoff)
USA / 2010
22.06.2011
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LA RUÉE VERS L'IRE
"Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’on a fait, les cités qu’on a construites."
La dernière piste s’inscrit dans une veine cinématographique aride et minimaliste qui érige l’absence de récit et d’action au rang de sacerdoce. Le point de départ du film (des pionniers perdus dans le désert, livrés à eux-mêmes) pourrait mener à peu près partout : western, film d’horreur, comédie de mœurs… même actionner en costumes. Mais sous la caméra de Kelly Reichardt, il n’emprunte aucun de ces chemins, devenant une œuvre contemplative, hypnotisante, dans laquelle on peut projeter une réflexion sur l’humanité ou un plaidoyer en faveur de l’émancipation des opprimés (femmes comme indiens), mais qui dans les faits ne véhicule aucun message explicite.
C’est là que l’on mesure l’apport cinématographique de la réalisatrice : la jeune femme soumet l’intrigue à un étrange processus de déconstruction et de neutralisation qui le vide de toute substance tangible. Comme un vaste miroir vide dans lequel chaque spectateur aurait le loisir d’imaginer ce qu’il souhaite, le film devient avant tout une recherche esthétique et naturaliste réduisant le monde et l’existence à une succession de gestes quotidiens, de bribes de conversations entendues (c’est pourquoi on voit rarement à l’écran celui qui est en train de parler, mais plutôt ceux — celles — qui écoutent) et de paysages infinis. La réalisatrice filme ainsi en boucle les vastes plaines, les carrioles avançant au pas et des silhouettes lointaines, de dos, perdues dans une immensité qui les engloutit.
Ce faisant, elle crée un rythme, une sorte de refrain visuel qui développe à sa façon une intrigue parallèle radicale faite de sensations et de fragments de réalité. Ce type de cinéma a ses maîtres et ses adeptes, mais n’est pas Bela Tarr qui veut. Une fois la première partie du film passée, Kelly Reichardt place son spectateur dans une situation impossible. Soit il est mort d’ennui devant une vacuité si soigneusement recherchée, et rien ne pourra le réveiller ; soit il accepte de suivre le film sur cette route extrême, et s’avère paradoxalement déçu lorsqu’un semblant d’histoire (suivi de rebondissements) vient rompre cette errance magnifique.
La dernière piste bascule alors dans quelque chose d’un peu plus convenu. Toujours à sa façon déroutante, il introduit une dimension philosophique non dénuée d’ironie tragique. Le groupe devient un microcosme comme les autres où la fragilité des rapports humains ne résiste pas à l’épreuve et à la dissension. Deux conceptions du monde s’affrontent. Ceux qui ne connaissent que la force et l’action, persuadés de leur légitimité absolue ; et ceux qui essayent de comprendre et d’analyser le monde. Les premiers sont prêts à écraser quiconque se met en travers de leur chemin. Les autres ne tiennent pas à survivre à n’importe quel prix.
Bien sûr, Kelly Reichardt ne réconcilie pas les deux positions, pas plus qu’elle ne privilégie l’une ou l’autre. Campant sur son parti pris de départ, elle laisse ironiquement le film en suspend, telle une fable perverse dont la morale est volontairement ambiguë. Elle fait alors subir aux spectateurs le même sort incertain qu’à ses personnages : après les avoir poussés dans leurs derniers retranchements, juste au moment où ils ont livré leur dernier combat, elle les abandonne froidement au milieu de nulle part sans la moindre consolation.
MpM
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