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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L'ordre et la morale
France / 2011
16.09.2011
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LA PEINE
« C’est la première fois que l’Armée française occupe le territoire depuis la Guerre d’Algérie.»
« J’essaie de comprendre comment on en est arrivé là. »
Ceux qui se plaignent d’une réinterprétation de l’Histoire ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. A force de maquer, cacher, rendre opaque toute tentative de vérité, la fiction, comme la nature, comble les vides. Kassovitz, qui, ici, réalise son meilleur film depuis des lustres et prouve, de nouveau, qu’il est un bon cinéaste et un très bon monteur, en plus d’être un beau conteur, a choisi de donner la parole à ceux qui ont été tués, à ceux qui se sont tus. Le massacre de la grotte d’Ouvéa, en pleine campagne présidentielle française, est vu à travers deux prismes : le médiateur (le beau rôle qu’il s’est offert) et les indépendantistes. Notre empathie va d’emblée vers le dialogue alors que le pouvoir et l’armée optent pour une solution violente. L’armée, qui n’a pas voulu coopérer avec la production (on peut le comprendre) est prête à tuer, torturer. Raciste, elle considère les kanaks comme des barbares, alors qu’ils sont des citoyens français. L’armée versus les maquisards. Généralement ce sont toujours les derniers qui gagnent. C’est de ce conflit civil (insistons sur le mot), dont on connaît l’issue fatale, que naît la tension d’un film qui pourrait être inscrit dans le genre « film de guerre ».
Cela semble loin : pas seulement géographiquement (un îlot à l’écart de la Nouvelle Calédonie). Les Citroën CX, les cabines téléphoniques, tout nous ramène dans un temps révolu. Les décors et les paysages somptueux, et rares dans le cinéma français. Une jungle verte qui pourrait être la métaphore de ce film, une jungle où chacun se perd (en dignité).
Et puis il y a ces plaies du passé : une armée pas vraiment remise de la décolonisation, des Kanaks qui rejoignent l’ensemble des peuples et des ethnies revendicatrices. Il y a ceux qui croient déjà au respect des autochtones et les autres qui veulent uniformiser les populations au nom de la république.
Le film est découpé en trois parties. La première démarre en trombe et met en place les acteurs et le contexte de l’époque. Entre infiltrations, manipulations, négociations et hésitations, la deuxième ralentit le rythme et ouvre le champ des possibles. On le voit bien avec la libération sans heurts des otages du sud, une autre voie est empruntable. Mais il en sera autrement. La troisième est consacrée à l’assaut, toute en action et confusions, caméra à l’épaule, quasiment « embedded ». Cinétiquement la plus brillante. Narrativement la moins palpitante. L’ensemble est construit comme un compte à rebours. La musique, surdramatisante, donne une effet hollywoodien à l’ensemble. Le bruit et la fureur qui résultent des jeux de pouvoirs parisiens couvrent finalement le véritable sujet du film : l’échec du capitaine du GIGN. Il est rare qu’un film, efficace, politique, polémique éventuellement, idéalise celui qui perd. Peu importe les dérapages des uns, c’est l’isolement des autres qui frappe. Un isolement là encore géographique (une île), mais aussi physique (des otages dans une grotte) et stratégique (le GIGN impuissant face à l’Armée).
Kassovitz aborde tous les sujets qui fâchent : l’élection présidentielle (avec le duel Mitterrand / Chirac, l’incompétence de Bernard Pons), l’exploitation du nickel, … mais il laisse aussi la parole au peuple Kanak. Cette respiration à travers des monologues, des dialogues, des coutumes pourraient rendre le film bancal, il en fait une œuvre attachante.
Certes il y a des défauts. Le projet était casse-gueule. Cependant, on peut lui être redevable de vouloir rouvrir le dossier d’Ouvéa. De remettre de l’information où il y avait de la désinformation. En voulant mélanger un réalisme très européen avec une forme américanisée, Kassovitz cherche à séduire tout en nous intéressant à un fait historique complexe, dont les conséquences sont encore inachevées. Tout le monde a échoué.
«- La mort d’un homme est un échec pour nous. – Pour moi aussi, mais parfois il n’y a pas d’autres moyens pour rétablir l’ordre et la morale. » Il n’y aura eu que des morts, mais ni ordre, ni morale. Si la vérité blesse, même déformée, même inexacte, le mensonge tue. Au moins, ce film ne ment pas. Il donne une autre vérité.
vincy
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