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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Time Out (In Time)
USA / 2011
23.11.2011
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A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU
"C’est ça votre problème ? Vous vivez depuis trop longtemps ?"
Curieux objet que ce blockbuster en puissance, avec casting glamour et réalisateur confirmé à la clef, qui a plus à voir avec une ébauche de réflexion politique et sociale qu’avec l’habituel salmigondis héroïco-musclé. Andrew Niccol invente une société autoritaire et déshumanisée où ce qui est en jeu à chaque minute de l’existence n’est plus le bonheur personnel, le confort matériel ou l’élévation sociale, mais l’existence elle-même. D’où une première partie sombre et anxiogène sur laquelle plane un persistant sentiment d’urgence.
Dans le ghetto de Dayton où habite le personnage principal, la misère est d’autant plus palpable qu’elle n’est pas uniquement matérielle : partout plane la peur des minutes qui défilent et, avec elles, l’ombre de la mort. Les gens se déplacent plus rapidement, cumulent les emplois, et n’ont guère de temps à consacrer aux futilités. Même toute notion d’entraide ou de solidarité a disparu, car partager un peu de ses richesses équivaut à hypothéquer son espérance de vie. Ainsi, dans Time out, on ne vit pas, mais on se contente de survivre, l’angoisse au ventre. Tout au moins chez les plus pauvres. Car dans les classes plus aisées, où les gens ont des dizaines, voire des centaines d’années à leur disposition, l’existence se déroule dans une temporalité tout à fait différente. Les riches n’accordent pas d’importance au temps qui passe, et se caractérisent par une lenteur nonchalante. Toutefois, eux non plus ne sont pas à l’abri de la peur. Forts de leur capital-temps, ils craignent de mourir par accident, et s’interdisent donc toute activité risquée. Au final, ils vivent repliés sur eux-mêmes, méfiants et solitaires.
Ainsi transposée dans un futur proche, l’opposition de classes à laquelle nous sommes habitués prend un relief nouveau. Le sentiment d’injustice et de révolte est exacerbé par la violence symbolique exercée dans le film à l’égard des individus les plus pauvres. Chaque détail concret du scénario (les frontières physiques entre les différentes couches de la société, l’inflation mécanique et artificielle, le refus du partage des ressources, la spéculation…) est comme une résonance amplifiée et extrême de notre quotidien. Soucieux d’aller au bout de sa dénonciation, Andrew Niccol explore toutes les pistes induites par son sujet : les dérives économiques, le cynisme politique et même les répercussions sociales potentiellement désastreuses d’une redistribution des richesses non souhaitée par le marché. De fait, Time out se lit à plusieurs niveaux : d’un côté le film d’action rythmé et efficace (malgré quelques facilités de scénario) et de l’autre la parabole sociale pas forcément optimiste, ne laissant entrevoir comme issue possible qu’une dérégulation plus ou moins temporaire du système.
Le regard porté par le réalisateur sur notre société en crise n’a donc rien de joyeux. Pire, il double sa démonstration politique d’une réflexion plus philosophique sur la manière dont chacun occupe le temps qui lui est imparti, en fonction de ses désirs, mais surtout de ses possibilités. Là encore, on n’est guère surpris de se rendre compte que les dés sont pipés dès le départ… A sa manière, Time out rappelle ainsi l’anticipation militante des années 60 et 70, capable de mêler habilement l’entertainment d’un scénario bourré de rebondissements à un fond plus grave et plus critique. Et si cela fonctionne toujours aussi efficacement, c’est que l’aspect "grand public" du film l’empêche de se prendre au sérieux, tandis que le fil directeur politique lui offre une trame brillante et bien ficelée. A découvrir sans perdre de temps.
MpM
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