Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Shame


USA / 2011

07.12.2011
 



LA FAIM DE TOUT





"Les actes comptent. Pas les paroles."

En abordant la question de l’addiction sexuelle sous un angle plus descriptif qu’explicatif, Steve McQueen s’attaque à un sujet à la fois tabou, racoleur et casse-gueule. Pourtant, il évite avec brio la plupart des pièges qui se présentaient à lui, pour livrer une œuvre certes imparfaite, mais quasiment dépourvue de tous les défauts que l’on pouvait craindre : complaisance érotique, psychanalyse de comptoir, rédemption miraculeuse.

A la place, il met en scène un univers froid et anonyme où l’extrême solitude le dispute à des simulacres de relations humaines. Que ce soit avec ses collègues de bureau, son partenaire de beuverie ou ses conquêtes d’un soir, Brandon, le personnage principal, paraît incapable d’être atteint, ou même d’agir dans le cadre d’un échange réciproque. Il est en permanence en retrait, comme sur la défensive, ou au contraire dans une profonde indifférence. La seule chose qui l’anime, c’est son gigantesque appétit sexuel, besoin irrépressible et violent apparemment déconnecté de tout facteur affectif. Comme dans toute addiction, on ne sait plus s’il poursuit la jouissance ou fuit simplement une trop grande douleur intérieure. Aucun orgasme ne semble pouvoir le libérer. Il n’y a alors plus qu’une interminable succession de fuites en avant, vides de sens, et toutes autant vouées à l’échec les unes que les autres.

Au-delà de la dimension sexuelle de son sujet, Steve McQueen filme à distance le désenchantement d’une société qui est en bout de course. Des corps sans sentiment aux scènes qui se répètent inlassablement, tout forme un quotidien étouffant et nihiliste, où plus rien n’a de sens. Même le personnage incarné par Carey Mulligan, qui pourrait apporter un contrepoint plus léger, ne fait que révéler les failles de son frère et, dans une certaine mesure, les exacerber. C’est face à elle qu’il ressent la "honte" du titre, et c’est à son contact qu’il multiplie les crises, de manque comme de rage. Une scène, peut-être, explique ce lien trouble qui les relie. Un soir, Brandon va écouter sa sœur. La caméra s’attarde longuement sur le visage de la jeune femme, qui donne de "New York, New York" une version déchirante. Puis elle fixe celui du frère, masque de douleur pétrifié sur lequel finit par couler une larme. La séquence semble si interminable qu’on comprend que quelque chose d’essentiel s’y joue.

Mais Steve McQueen ne va pas plus loin. S’il distille quelques pistes, c’est comme avec réticence, les abandonnant aussitôt. Sa mise en scène oscille ainsi entre lyrisme flamboyant (la séquence d’ouverture, morcelée et virtuose, qui apporte par flashs des indices sur la vie du personnage) et passages statiques, plus appuyés, qui esquissent des éléments de réponses. On passe même de moments de grâce à des scènes plus convenues, ou si étirées qu'elles en perdent toute profondeur. A force, cela rend le film inégal, et surtout moins percutant.

Reste un Michael Fassbender carnassier, au regard de prédateur inquiétant, qui pousse à son paroxysme le malaise du spectateur. Grâce à lui, Shame devient une expérience troublante et captivante, presque participative, qui va au-delà du simple constat d’échec d’une société en état de désintégration avancée.
 
MpM

 
 
 
 

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