Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24


  



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J. Edgar


USA / 2010

11.01.2012
 



Exceptionnellement, Ecran Noir vous offre deux avis, pas forcément antagonistes, mais différents sur le film de Clint Eastwood.





***

par Vincy

LA VIE DES AUTRES

«- L’information, c’est le pouvoir. »

J.Edgar avait tout pour séduire Clint Eastwood. Le réalisateur s’est toujours senti inspiré par les portraits biographiques de personnalités emblématiques : Charlie Parker dans Bird, John Huston dans Chasseur blanc, Nelson Mandela dans Invictus… Il est aussi passionné d’Histoire américaine et ses reconstitutions (L’échange, Mémoires de nos pères). Il aime également l’ambivalence des personnages, avec leur part de lumière et leurs zones d’ombres (l’homosexualité avec Minuit dans le jardin du bien et du mal, le racisme avec Gran Torino, …). J. Edgar est un peu de tout cela.
Sans atteindre le niveau de ses plus grands films, mais en dépassant largement les quelques ratages comme Au-delà l’an dernier, J. Edgar fascine par le chemin que le cinéaste parcourt. La narration se structure par des allers et retours dans les différentes époques du créateur du FBI. Le prétexte est classique : la rédaction de ses Mémoires, par différents auteurs (ou un seul aux multiples visages). Il apparaît ainsi progressiste ou réactionnaire, raciste ou tolérant, anti-noirs ou anti-KKK. Un caméléon qui s’adapte au contexte politique et sociétal pour justifier tous ses actes, y compris les plus discutables. Cela n’en fait pas un personnage sympathique, notamment quand, au crépuscule de sa vie, son premier lecteur rétablit quelques vérités. J. Edgar a consacré tout son destin à vouloir entrer dans l’Histoire en jouant le héros. Pour l’image. En coulisses, il n’était qu’un brillant visionnaire préfigurant l’horreur de Big Brother.

DiCaprio au dessus du lot
Rien ne l’entachera vraiment ou il saura se protéger de tous les coups. Eastwood maîtrise avec élégance ces jeux ondulants qui le montrent si opportunistes.Il est surtout aidé par un comédien dont on ne dira jamais assez qu’il interprète génialement les personnages les plus retors : Leonardo DiCaprio. Le film glorifie plus l’acteur que la figure qu’il incarne.
Car la force émotionnelle du film ne se dégage que vers la fin de ce biopic. Eastwood ne cherche qu’à révéler le talon d’Achille, la faille de son héros. Tout le scénario ne conduit qu’à une séquence essentielle : le baiser interdit. J. Edgar était écrasé par la rectitude de sa mère avec laquelle il avait une relation fusionnelle ; il avait engagé comme fidèle et loyale assistante celle qu’il voulait épouser ; il avait fait de même avec un jeune homme qui lui avait tapé dans l’œil. J. Edgar était froid comme un serpent, intouchable, acète sexuellement, vivant par procuration la vie des autres plutôt que de vivre la sienne. Il espionnait la vie privée des autres pour mieux les contrôler et rejetait ainsi toute possibilité qu’on en fasse autant avec lui.
Alors, un baiser, qui plus est transgressif, est comme un accomplissement, un lâcher-prise libérateur, même si trop tardif pour qu’il conduise à autre chose. Il change tout : la vision du personnage, la perspective d’une relation de plusieurs décennies, la tonalité du film, l’objectif même de son réalisateur. Nous ne sommes plus dans une biographie controversée mais dans une œuvre presque romantique, au sens tragique du terme.

Eastwood sur le divan
J. Edgar apparaît alors comme une œuvre presque psychanalytique sur un homme explorant son passé, s’interrogeant sur ce qu’il a réalisé et échoué. De par ses opinions ultra-conservatrices, réactionnaires, J. Edgar pourrait être le reflet de l’image qu’Eastwood a longtemps véhiculé. La quête de reconnaissance du directeur du FBI pourrait être celle d’un acteur devenu réalisateur.
Aidé par un scénario vif, des comédiens excellents (mention spéciale à la révélation du film, Armie Hammer), J. Edgar s’empêche cependant, à l’instar de son personnage central, de vivre pleinement l’épique histoire paranoïaque de l’Amérique. Centré sur l’homme, le film évite soigneusement de porter une critique frontale sur l’obsession sécuritaire des USA. Le fichage des citoyens, Watergate, … c’est anecdotique. Eastwood ne se concentre que sur les réussites et les échecs personnels de J. Edgar. Bien sûr, l’ambition de l’homme est telle que le cinéaste ne peut pas cacher comment l’Amérique bafoue ses propres droits.

Requiem pour un ultra-con
On pourrait même reprocher au réalisateur de rendre J. Edgar Hoover et ses deux fidèles trop séduisants, charmeurs. Mais leurs aspects vaniteux (« L’admiration me suffit »), manipulateurs, atténuent cette impression. Eastwood profite aussi de ce voyage dans le temps (des années 20 aux années 70) pour perfidement balancer McCarthy (« un opportuniste, pas un patriote »). Il s’amuse aussi, grâce à James Cagney, du revirement des producteurs et des spectateurs, qui héroïsaient les gangsters et ridiculisaient les flics, avant que la tendance ne s’inverse grâce à la propagande du FBI (BD incluse). Mais ces digressions ne sont que d’aimables parenthèses aux côtés des troubles politiques extérieurs ou des tourments intimes enfouis par la puissance et la gloire. Survivant à toutes ses erreurs, esquivant toutes les menaces, le reptile Hoover devient dinosaure, et misanthrope. Et c’est à ce moment là que le réalisateur décide d’abandonner la biographie pour se focaliser sur la liaison perverse entre Hoover et son assistant. Le FBI ne devient alors que l’enfant d’un couple inachevé (DiCaprio et Watts) et d’un couple incomplet (DiCaprio et Hammer). Leur addiction l’un à l’autre devient d’autant plus touchante que le cinéaste sait filmer les hommes vieillissants, malades, déclinants. Le crépusculaire le transcende. La déclaration d’amour, à mi-voix, loin de la frustration enlisée par les années, est aussi sobre que sublime.
J. Edgar atteint alors son but. La vie des autres n’a aucune importance si on ne vit pas la sienne pleinement.

***

par Geoffroy

MYSTIC EDGAR

« Ce qui compte ici, c’est de clarifier la différence entre méchant et héros ».

Comme tous les hommes de pouvoir, J. Edgar Hoover était un personnage complexe. Et c’est bien de cette complexité dont il est question dans le 32e long-métrage de Clint Eastwood, biopic psychologique autour d’un homme qui aura été à la tête du FBI pendant 48 ans (1926-1972). Un record. Pour autant, on ne sait pas grand-chose de cette figure américaine emblématique. Sauf qu’il usait et abusait de sa fonction pour assurer la sécurité intérieure du pays quitte à enfreindre les lois. Durant cette période, le FBI lui est indissociable. De sa personnalité, de ses influences, de ses angoisses, de ses abus, de ses manœuvres (il aura « bâillonné » maints puissants et survécu à huit présidents) comme de son patriotisme exacerbé (lutte acharnée contre la menace rouge).
C’est cette indissociabilité entre une personnalité hors norme et une organisation d’État en quête de crédibilité qui a séduit Eastwood. Également Di Caprio, puisque l’acteur lui donne corps avec le brio qui le caractérise (au même titre que sa composition d’Howard Hughes dans Aviator de Scorsese). Bien qu’imparfaite, la raison d’être du film provient de cette imbrication exclusive faisant de J. Edgar Hoover un homme seul enfermé dans ses convictions et ses mensonges les plus intimes. Si le traitement s’appesantit parfois longuement sur le caractère ambigu d’un homme dominé par la paranoïa, le ton, on ne peut plus classique, n’est pas sans rappeler la grande tradition Hollywoodienne des films à Oscars. On se dit qu’un tel rôle ne pouvait qu’échoir à Di Caprio. En effet, que ce soit dans Aviator, Shutter Island, Arrête moi si tu peux ou Inception, il culmine dans l’interprétation de personnages ambivalents, torturés ou rongés de l’intérieur.

Si J. Edgar aborde plusieurs thématiques, elles ne le sont jamais de front. Ni en profondeur, d’ailleurs. La narration, composée d’allers-retours temporels, s’attache avant tout à décrypter la personnalité du directeur du FBI via un rapport de force constant ou rien n’est, semble-t-il, laissé au hasard. Sous la houlette du réalisateur, Hoover devient un personnage autoritaire, aussi froid qu’implacable, comme prisonnier entre ce qu’il ressent et ce qu’il pense devoir faire pour assumer jusqu’au bout ses responsabilités de chef de la sécurité intérieure. Le portrait, très dense (trop sans doute), jongle ainsi sur les périodes, les événements et les rencontres, sans jamais prendre le temps de nous les exposer.
De fait, la direction est autre. Elle sera psychologique. Intérieure. Labyrinthique. Guidée par un Hoover assailli de peurs. Le point de vue des différentes thématiques est alors subjectif puisque dicté par Hoover lui-même (au sens propre comme au figuré). Clint Eastwood refuse le biopic conjoncturel au profit d’un biopic s’attachant à construire et déconstruire le mythe d’un homme carriériste insensible à l’usure du temps. Sa vie privée sera inlassablement guidée par sa relation au pouvoir (des nombreux dossiers secrets montés illégalement à sa haine des Kennedy), aux femmes (relation avec sa mère (Judi Dench) et sa secrétaire (Naomi Watts), aux hommes (amour frustré envers son plus fidèle compagnon, Clyde Tolson (Armie Hammer), à la sexualité (homosexualité refoulée) et à l’estime de soi (besoin de reconnaissance). Qu’on soit dans les années trente ou les années soixante. La problématique reste la même.

une superficialité sociopolitique absolue
En argumentant de la sorte, le cinéaste enferme son icône dans des postures égales ou l’importance des parties dialoguées prend le dessus sur une imagerie pourtant essentielle. La conséquence est immédiate et cantonne le long-métrage dans une superficialité sociopolitique absolue, édulcorant, de fait, l’incarnation voulue par le cinéaste de Mystic River. Pourtant la mise en scène d’Eastwood ne s’écarte jamais du personnage. Elle le triture, joue avec, le défigure pour en faire ressortir une peur primale : celle de voir l’Amérique ébranlée dans ses fondations puritaines. Un peu comme son refus, quarante durant, d’affirmer au grand jour (et donc à lui-même) son homosexualité. Sa vie privée est un sanctuaire immaculé qu’il ne faut surtout pas salir quitte à faire souffrir son amour de toujours, Clyde Tolson.
Figure à la fois terrifiante et fragile, Hoover aura fait de son FBI un espace de revanche, une vitrine d’actions héroïques savamment mis en scène, une structure de contrôle dont nous ne saurons rien (de ce point de vue, le film de Michael Mann, Public Ennemies, est plus instructif) et une forteresse de verre pour se préserver des aléas d’une vie exposée. L’aspect chirurgical de la mise en scène ne laisse aucun doute. Clint Eastwood vient de réaliser le premier biopic à l’incarnation désincarnée.
 
vincy, geoffroy

 
 
 
 

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