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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Le Projet Nim (Project Nim)
USA / 2011
11.01.2012
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SINGER L’HOMME ?
«- On ne peut s’occuper humainement d’un animal capable de vous tuer ?»
Rares sont les documentaires animaliers à transformer le banal reportage que l’on peut voir à la télévision en film de cinéma. Le projet Nim est de ceux-ci. Une mise en scène intelligente, un rythme sans accros, une histoire touchante et parfois émouvante, des personnages / témoignages qui sonnent justes. Durant plus de deux décennies, nous suivons le voyage d’un chimpanzé choisi arbitrairement pour vivre un destin singulier. Nim a déjà inspiré de nombreuses fictions. Il était temps de connaître sa véritable vie.
De l’Oklahoma à Cleveland en passant par New York, Nim voyagera, pour le meilleur et pour le pire : sa vie commence au paradis avec une grande maison où il vit en totale liberté, puis une résidence et son parc à l’écart de la ville où il apprendra le langage de signe. Elle virera au cauchemar quand le programme de recherche universitaire le laissera tomber : laboratoire médical expérimental, et ses tortures, résidence pour animaux mal adaptée, et sa solitude… Nim aura été un prince qui se sera retrouvé déchu.
Apprendre le langage des signes à un singe, l’idée est venue à un universitaire après avoir lu La Planète des singes. Le Darwinisme extrême. Mais le documentaire veut surtout montrer les conséquences de cette intégration du singe dans le quotidien des humains qui l’ont adopté. Hippie ou scientifique, peu importe : Nim n’a toujours été qu’un cobaye « traité comme un être humain ». C’est à la fois ce qui le perdra et ce qui le sauvera. Devenu adulte, et comprenant que son langage n’est qu’une communication intéressée et non un échange stimulant, l’universitaire initiateur de l’expérience, M. Terrace, l’abandonnera à son triste sort. Il est rare qu’un témoin dans un documentaire paraisse aussi antipathique. Mais le film nous rend Nim et ses différentes mères si attachants qu’on ne peut qu’être répugné par l’opportunisme, l’arrivisme même, de cet universitaire plus préoccupé par les médias ou le fait de baiser son assistante que par la santé de son équipe ou de l’animal.
Le projet Nim provoque réellement des réactions de la part du spectateur, petit ou grands: un salaud, des méchants, des sympas… Voir Nim être arraché à chacune de ses « mamans » adoptives est un crève-cœur. Observer sa spirale vers l’enfer (torture, prison, solitude) est révoltant. Le film est un plaidoyer non didactique sur la souffrance animale et les limites de la science dans l’utilisation des animaux. Ironiquement, parce qu’il a appris un langage humain, Nim évitera la mort en laboratoire, grâce à … un avocat !
Le documentaire alterne les interviews, élégamment mises en scène, les images d’archives, des coupures de presse. La musique relie subtilement le présent et le passé et la réalisation créé un ton tantôt dramatique tantôt burlesque qui accentue l’aspect cinématographique. Les tensions, les rivalités, l’affection humanisent un docu a priori banal. La parole de chacun explore aussi toutes les facettes, les erreurs comme les exploits, de l’apprentissage de Nim ou de l’éducation donnée par chacun. L’attachement à ce singe a conduit tous les protagonistes à être obsédés par lui. Cette absence de détachement, sauf de la part de celui qui l’a choisi et qui a dirigé le programme, permet au spectateur de s’identifier facilement. Ce ne sont pas des « savants » qui expliquent une expérience. Ce sont des gens qui évoquent leur liaison particulière avec ce lointain cousin.
C’est sans doute là que Le projet Nim touche davantage que les autres, malgré une narration très classique : il nous renvoie à notre rapport à l’animal, à notre dépendance affective, à notre impuissance éducative. Ce singe qui aimait les chats et les câlins portait aussi, en lui, une violence et une colère dues à son espèce. L’homme l’a rendu schizophrène. Et l’a trahi. Il deviendra dépressif, traumatisé. Cet animal qui savait demander quelque chose, partager avec quelqu’un, qui comprenait l’homme, a été vendu à un labo comme un esclave : il parvient à nous arracher : il y a tant de cruauté à son égard.
Le documentaire avait commencé dans une sorte de nostalgie joyeuse et émerveillée : il nous amène vers une histoire horrible, scandaleuse, bouleversante. Jusqu’à la lâcheté de ce M. Terrace, qui s’abrite derrière la Loi, et ne le reverra plus après l’avoir utilisé durant près de dix ans pour sa gloire personnelle. On ne peut pas rester insensible à ce parcours d’un chimpanzé surdoué maltraité.
Le projet Nim est une faillite scientifique cachée derrière les apparences d’un conte. Si on lui avait appris le mot « pardon » peut-être ne l’aurait-il pas utiliser : comment ce singe aurait-il pu pardonner tant d’égoïsmes…?
vincy
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