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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Apart together (Tuan yuan)
/ 2010
07.03.2012
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UNE SEPARATION
"Revenir n’a pas dû être facile."
Dans Apart together, la destinée individuelle des personnages cristallise les tragédies de l’Histoire, réunissant en un récit intimiste tous les traumatismes de la Chine des soixante dernières années. Sur une trame extrêmement simple (un couple se retrouve après plus de cinquante années de séparation), Wang Quan’an aborde ainsi l’inguérissable blessure de la guerre civile qui a séparé des milliers de famille suite à la partition entre la Chine communiste et le gouvernement nationaliste de Taïwan. Il en profite aussi pour évoquer les affres de la révolution culturelle, dont on devine au détour des conversations qu’elle a particulièrement stigmatisé les familles des nationalistes.
Pour autant, Apart together tient plus de la chronique familiale que du constat politique. La majorité du film est composée de scènes de repas, pendant lesquelles les protagonistes discutent ou chantent, ainsi que de séquences de tourisme à travers Shanghai, qui montrent la modernisation galopante de la ville. Loin d’accueillir le visiteur taïwanais comme un ennemi ou un étranger, la nouvelle famille de sa femme lui témoigne déférence, amitié et respect. A travers lui, c’est l’exilé involontaire qui est salué, et sincèrement plaint. Là encore, la nourriture joue un rôle essentiel. On lui prépare un festin (mieux que pour le nouvel an), on lui fait d’autorité manger les meilleurs mets, et on ne lésine pas sur la qualité pour le recevoir. Ces moments alimentaires permettent de faire passer en douceur émotions, sentiments, et messages non verbalisables. C’est toujours autour d’un repas que se prennent également les décisions, mais sans heurts ni disputes. Comme si, à table, tout était plus simple et facile.
Ces relations apaisées et amicales placent le conflit qui couve (deux hommes qui se disputent la même femme) sur un autre plan : celui des sentiments et des regrets, mais jamais des reproches. C’est que les trois protagonistes ont tous été broyés par l’Histoire, et qu’aucun d’eux n’a vraiment la possibilité de réparer cela. Ce qui leur est arrivé les dépasse, ne dépend pas d’eux, et de ce fait les rend même solidaires. Ils sont unis malgré eux par une même douleur, un même gâchis, dont il est inutile de débattre plus de cinquante ans plus tard.
Wang Quan’an (qui n’a pas gagné sans raison un Ours d’argent du meilleur scénario à Berlin en 2011 pour ce film) ne donne jamais l’impression de dénoncer quoi que ce soit, ni même de réaliser un film politique, et pourtant il fait remarquablement sentir que ses personnages sont les victimes d’un système qui les a sacrifiés sur l’autel de sa propre grandeur. Or le propos est si tristement universel que malgré sa tonalité joyeuse et sa bonne humeur feutrée, Apart together est un film au final déchirant et terrible.
MpM
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