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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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38 témoins
France / 2012
14.03.2012
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LE PROCÈS
«- Y a que les fous qui confondent leurs cauchemars avec la réalité »
Lucas Belveaux aime les atmosphères urbaines, industrielles, nocturnes. Il accroche au film noir, à l’image des idées qui hantent ses personnages. Mais 38 témoins est sans doute son film le plus gris. Des gris tranchés : clairs, foncés, indéfinissables, parfois des bleus gris. Le Havre comme décor. Son architecture rigoriste, ses lignes droites qui se heurtent absurdement à l’horizon maritime infini. Le rationnel et l’évasion qui se confrontent, comme dans l’esprit du personnage central, dont tout l’édifice va s’écrouler après la découverte d’un corps en bas de chez lui.
Un crime sordide que 38 personnes ont vu ou entendu, mais qui garderont le silence devant la police. 38 témoins de rien. Mais le silence, ça peut ronger. Même un taiseux comme celui interprété par Attal. Ça bouffe de l’intérieur et ça dévore les relations extérieures. Le fait divers est fabriqué en drame national, T-shirt et émotion en bonus. Tous les témoins assistent à la messe : en espérant que leur péché de silence expie, que leur culpabilité soit pardonnée, que leur lâcheté soit rachetée par on ne sait quelle loi divine. La loi des hommes n’a aucun pouvoir quand 38 témoins sont mutiques.
« - Faut plus en parler.
- ça répare pas.
- Ce qui est fait est fait ;
- On va oublier maintenant, on va vivre comme avant.»
Belveaux chapitre son film avec le gros titre du quotidien local : Peur, Douleur, Honte. Mais le film a du mal à tenir en équilibre entre sa première et sa deuxième partie. Dans la première partie, il y a 37 menteurs et un homme qui doute, malgré le soutien de sa fiancée, persuadée que le silence est plus fort que la vérité. Les problèmes sont posés un par un, un peu lourdement : lâcheté contre courage, vie normale versus hallucinations. Les dialogues pèsent sur le rythme. L’ambiance est plutôt ennuyeuse, celle d’un drame qui cherche sa voie.
Puis le film bascule. Attal va dire la vérité, seul contre tous. L’intrigue (l’enquête criminelle étant périphérique et assez anecdotique) se complexifie : la fiancée doute finalement de pouvoir vivre avec un lâche, la journaliste doute de son devoir de sortir la vérité (exposant ainsi 37 citoyens), le policier joue double jeu pour que la vérité éclate, le procure cherche à enterrer l’affaire (avec de bons arguments), … Tout se met en place pour que le film devienne une forme de procès, assez subtil, de lâcheté.
« On ne poursuit pas 38 individus pour nous assistance à personnes en danger. Vous voulez faire quoi, le procès de lâcheté ? »
Dans le film, tout le monde veut comprendre mais personne ne veut condamner. Dès que l’abcès est crevé, le film décolle ; véritable imbroglio relationnel, il se sublime presque avec cette prise de conscience que chacun d’entre nous peut-être facilement lâche. Pour le spectateur, il ne s’agit pas de juger mais on comprend vite les dilemmes qui vont pourrir la vie des protagonistes.
L’acte final, glaçant, est celui où l’on reconstitue le crime. 38 lâches, 38 coupables ? Pas si simple. Le gris clair et le gris foncé se mélangent. Et ceux qui n’étaient pas parmi les témoins, et qui vont revire l’événement artificiellement, vont définitivement couper les ponts avec ces 38 voisins ordinaires, placés au ban de la société pour ne pas avoir saisi leur téléphone, crié, hurlé, secouru une jeune femme mourant à leurs pieds.
Reconnaissons que le film, si décevant et manquant de scènes fortes dans sa première moitié, nous serre la gorge et nous remue les neurones grâce à un problème bien cerné et une dramaturgie parfaite pour le rendre passionnant. L’émotion est là, froide, comme les eaux de la Manche au Havre.
vincy
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