Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Hunger Games


USA / 2012

21.03.2012
 



DU PAIN ET DES ENJEUX





"Si je dois mourir, je veux rester moi-même."

Hunger Games s’impose dès les scènes d’exposition comme un conte moderne glaçant opposant la belle société du Capitole, extravagante et bigarrée telle la cour de Versailles, aux "districts", ces ghettos ouvriers où règnent des degrés divers de pauvreté et de détresse. Au centre de l’intrigue, des "jeux de la faim" qui permettent au pouvoir central de garder un contrôle absolu sur son peuple (lui faisant éternellement expier le pêché impardonnable de s’être rebellé) tout en maintenant un climat d’angoisse mêlée d’entertainment. Le principal complice de cette autorité liberticide est en effet la télévision, qui surmédiatise les jeux, transformant un principe barbare (des adolescents qui s’entretuent sans raison) en spectacle viril et ludique.

On le comprend, ce qui est présenté comme le "nouveau phénomène adolescent", (comprendre grosse source de profits dans la lignée d’Harry Potter ou de Twilight) s’avère une dystopie plutôt noire doublée d’une critique sociale et médiatique à la fois violente et cynique. Mais attention, pas question de mettre les pieds dans le plat en laissant le propos politique prendre le pas sur le divertissement. On est face à une intrigue assez classique de parcours initiatique et sentimental, où les aspects les plus fâcheux (autoritarisme, lutte des classes, exploitation des travailleurs, misère sociale, cruauté des puissants…) ne sont jamais soulignés. Gary Ross fait appel à l’intelligence du spectateur qui doit lui-même tirer les conclusions de l’arrière-plan du récit, ou de répliques en apparence anodines. C’est malin (le film reste policé et consensuel) et ça évite un certain didactisme pompier.

D’autant que les parallèles dressés entre la société futuriste et la nôtre sont transparents, et ne manquent pas d’interroger cruellement notre bonne conscience. Ainsi, les guerres en Irak et en Afghanistan ne sont pas loin, où des milliers de jeunes Américains se sont engagés pour toucher un salaire et rêver à un avenir meilleur, et n’ont trouvé que la mort, ou le cauchemar éveillé d’un conflit absurde et sans fin. Même chose pour la division drastique du travail entre ceux qui produisent (mineurs, agriculteurs…) et ceux qui profitent (les riches oisifs du Capitole)

KOH LANTA TRASH

Mais le plus flagrant, c’est la transformation des "Hunger games" en émission de téléréalité retransmise sur écran géant, entretenant l’espoir des spectateurs, leur "fierté régionale" et leur compassion, mais surtout leur voyeurisme. Car dans ce jeu décadent, ce sont des adolescents, et donc le symbole d’un avenir meilleur, qui sont sacrifiés sur l’autel de la cohésion nationale. Comme dans une sorte de Koh Lanta trash, chacun lutte pour sa survie, mais les chances ne sont pas égales. Les rebondissements sont scénarisés, l’organisation intervient en changeant les règles en cours de route, des "sponsors" permettent aux plus populaires d’être avantagés… Tout est fait dans un but d’émotion immédiate et de spectacle le plus émouvant possible. Quitte à ce que chaque affrontement s’achève dans un bain de sang.

Des bains de sang qui restent toutefois majoritairement hors champ, dans un refus assez net de montrer des images chocs. Gary Ross utilise en effet divers stratagèmes pour limiter la violence physique présente à l’écran, notamment en s’imposant un montage très découpé, presque onirique, et en évacuant le son réel pour adoucir les séquences les plus dures. Bien sûr, cela s’explique en partie par la contrainte économique imposée par la production : en aucun cas le film ne pouvait se permettre une interdiction lors de sa sortie en salles. Mais surtout, le cinéaste a sans doute voulu éviter le piège de ce qu’il dénonce : à savoir devenir lui-même le pourvoyeur d’un programme ultra-violent flattant le voyeurisme du spectateur. Autant le récit est calqué durant toute la seconde partie sur celui d’une émission de télé réalité traditionnelle (un show devant sans cesse relancer l’attention du spectateur et jouer un rôle de catharsis), autant il s’interdit de fournir des contenus trop visuellement explicites. L’horreur et la cruauté sont donc reléguées au niveau symbolique, transformées en une épreuve psychologique tout aussi insupportable et efficace, mais plus facile à tenir à distance.

PARI TENU

C’est vrai, à titre purement cinéphile, on aurait préféré une adaptation plus sombre et plus "adulte", qui recrée un univers moins superficiel et plus dense. Car à plusieurs reprises, on déplore derrière le vernis post-apocalyptique des facilités de scénario et même des tentations de bons sentiments. Mais on ne peut enlever à Gary Ross de réussir une œuvre captivante qui tient son pari (s’adresser à un public familial) et laisse la suite complètement ouverte. Par ailleurs, le choix de Jennifer Lawrence s’avère excellent tant la jeune actrice a exactement ce qu’il faut de dureté combative et de douceur rentrée pour donner une certaine complexité au personnage de Katniss Everdeen.

Quant à savoir ce que deviendra la saga, c’est probablement le film suivant qui en décidera. Quoi qu’il en soit, on est tellement heureux de voir une œuvre "pour adolescents" aborder intelligemment des questions actuelles primordiales qu’on souhaite à ce premier volet de ne pas démériter au box-office. En effet, qui sait, peut-être un premier succès donnera-t-il suffisamment de crédit à l’aventure pour oser une suite plus grave et plus profonde, permettant ainsi à Hunger games de rivaliser avec les plus grandes franchises… tout en continuant à propager quelques idées salutaires sur la désobéissance civique et le refus de l’injustice.
 
MpM

 
 
 
 

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