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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Tyrannosaur
/ 2011
25.04.2012
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LES MISÉRABLES
« - Vous voulez du thé Robert ?
- Va te faire foutre.
- Vous voulez pas que je prie pour vous Robert ? »
Depuis plusieurs mois déjà le film Tyrannosaur met tout le monde d’accord : “an outstanding directorial debut from Paddy Considine”. Il arrive enfin dans les salles de cinéma françaises, et nul doute que ce film fera une très vive impression.
La grande force de Tyrannosaur est de ne pas vraiment raconter une histoire mais de suivre l’histoire de ses personnages. Tout d’abord, Joseph, mec paumé, ravagé, possédé par une colère rentrée qui ne s’exprime que par la violence – jusqu’à tuer son propre chien. Sa rage et son désarroi, proche de la folie, se conjuguent ensemble, aidés par l’alcool, la solitude, et une forme de lucidité qui lui permettra peut-être un espoir de rédemption. Une épave méprisable. Dans une ville où il n’y a plus d’issue possible, ni pour les jeunes, presque animaux, ni pour les vieux, qui viennent chercher le chèque de l’Etat faute de boulot. Mais il y a des nuances infimes qui nous font l’aimer : il regrette ses pulsions, cherche à sortir de l’impasse, et croise Hannah, en qui il croit. Une bouée de sauvetage dans un monde qui s’écroule. Tyrannosaur aurait pu alors être casse-gueule : Hannah est pieuse, pour ne pas dire illuminée, compensant tous les malheurs du monde, et une agressivité permanente, par des prières.
Mais Hannah aussi est en colère, en rage, pas loin de la folie, terriblement seule malgré la présence d’un mari. Elle va petit à petit laisser apparaître ses stigmates. Ca aurait pu être explosif ce duo entre une cul bénie et un fils d’enfoiré nihiliste. Mais le film préfère les sentiments aux passions, la destinée aux miracles. On se doute qu’ils vont se croiser plusieurs fois, se heurter l’un à l’autre, peut-être s’apprivoiser… Deux cinglés, isolés, qui vont se projeter l’un dans l’autre. Cependant ce n’est tant le récit de leur rencontre tumultueuse qui importe. Leur relation est un jeu de croisement où les destins vont s’inverser. Une transmission… qui bugge. Toute la richesse du film se cherche au-delà de cette rencontre, dans ce qu’elle va révéler d’eux-mêmes.
Tyrannosaur repose sur ce couple improbable, en insistant sur l’humanisme de chacun, sans en masquer les failles. Car ils en bavent. Lui avec un abruti de voisin fascisant et son pitbull, elle et son abruti de mari, qui lui pisse dessus quand elle dort ou la viole. Le dégoût qu’ils éprouvent pour le monde qui les entoure conduit à une forme de compassion envers eux.
Premier long métrage du comédien Paddy Considine, et véritable coup d’éclat d’entrée, Tyrannosaur évoque de manière habile les souffrances d’un société où l’indifférence et la violence règnent en maîtres. Le passage à l’acte violent est moins une attaque qu’une défense comme tentative de surmonter une vie en détresse. Drame poignant subtilement filmé où tout découle d’un naturel confondant, il est porté par l’intensité des comédiens - Peter Mullan et Olivia Colman. Dans un cadre réaliste, où les bourgeois sont aussi déprimants que les précaires, Considine dépeint une société qui se désagrège et ne peut compter que sur l’humain pour panser ses plaies. Les citoyens sont des martyrs, leur foi est mise à rude épreuve, le conflit permanent. L’enfer sur terre, même les anges sont sacrifiés.Il y a bien quelques fulgurances de bonheur dans ce calvaire. Mais le film ne cherche jamais à se détourner de son tracé : l’époque est dure. C’est parce qu’il est imprévisible que le scénario maintient le spectateur sous tension alors que l’ensemble paraîtrait presque mélodramatique.
Considine parvient à nous tenir en haleine parce que le final ne se soumet à aucun diktat : tel un livre, il suit les tourments des personnages pour écrire son histoire et nous emmener vers une fin aussi morale, que triste, plausible et apaisée.
Kristofy
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