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LA FAUTE HUMAINE
Lion d'or vénitien, cette oeuvre aussi métaphysique que fantastique, qui envoûtera, troublera les spectateurs réceptifs et ennuiera les autres. Techniquement sublime, comme toujours avec le Maître, cette énième revisitation du mythe de Faust croise les fantômes diaboliques que Sokourov a filmé à travers ses films. Un diable aux allures de monstre rongé de l'intérieur, un rat dégoût qui hante des villes boueuses, des forêts sombres, des rochers secs et puissants. Dès le début, il y a cette répulsion : des organes dégoulinant, un corps humain pourrissant. Rien ne sert à chercher l'éternité... Par n'importe quels moyens.
Ici la lumière et les couleurs opposent le bien et le mal. Le cinéaste aime expérimenter les distorsions visuelles pour mieux traduire les tourments humains. Les images sont manipulées, pétries, déformées, nous étouffant jusqu'à la suffocation. Jusqu'à ces plans larges, sublimes et majestueux, qui nous apaisent. Il y a Faust, terrien souterrain, et Marguerite, solaire et regardant le ciel.
Car Faust, on connait l'histoire. Il faut donc ne voir le film que pour cette leçon d'esthétisme cinématographique. On y ressent peu de choses hormis l'émotion des images qui nous envahissent. L'apprenti sorcier de Jeunet, le chef opérateur Bruno Delbonnel, met son talent au service de l'élève de Tarkovski, où la beauté d'un plan justifiait un film.
Mais, pourtant, c'est bien la lignée entre Moloch (1999) et Faust (2011), avec Taurus et Le soleil, qui intéressera également le cinéphile. Tyrans, despotes, "Minotaures" contemporains, ces hommes pourris, délavés par leurs actes ignobles, salis par l'Histoire, auront donné l'occasion au réalisateur de signer une tétralogie aussi fascinante qu'hermétique. Certes, il démythifie Hitler, Lénine/Staline, Hiro-Hito, certes, il ne cesse de se pencher sur une première moitié de XXe siècle qui n'intéresse plus grand monde, mais avec cet épilogue métaphorique, il nous renvoie aussi au cinéma d'alors, les Murnau et autres expressionnistes. Si ce n'est que Sokourov semble de plus en plus impressionniste. Le monde, la nature, l'Histoire l'intéressent peu. Elles dévorent l'Homme. La vie est éphémère. Sokourov toujours aussi pessimiste (ce qui explique une noirceur qui peut déranger). Mais il y a une vitalité qui naît des imperfections et pulsions humaines. Ici le tyran est l'Homme lui même.
Il y a aussi un paradoxe à ce Faust : le réalisateur refuse tout pacte avec le diable en signant un film damné à être vu par un nombre restreint de spectateurs. Aucune concession. L'âme du 7e art ne s'en remettrait pas. On frôle la philosophie de Godard, la vanité des plus grands, les intégristes d'un cinéma qui n'existe plus, soumis au diktat tyrannique des chiffres.
Finalement, son cinéma comme son Faust sont désillusionnés. L'homme nouveau est utopique. Le cinéma d'avant nostalgique. Il ne reste plus qu'à creuser les tombes... vincy
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