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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Killer Joe
USA / 2011
05.09.2012
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JOE LE POURRI
"- Tes yeux font mal."
William Friedkin nous revient cinq ans après l’inespéré Bug, vision paranoïaque d’une intensité maladive. Après un tel monument "claustrophobique", le réalisateur repart à la charge, retrouve pour l’occasion le scénariste de Bug, Tracy Letts, afin de nous offrir un polar crasseux d’une amoralité confondante en forme de jeu macabre où le malin s’immisce à la moindre tentation. Killer Joe est violent, trash, sordide, virtuose, sorte de tragi-comique au suspense coupable. Ce qui n’empêche pas le film de virer, surtout dans sa partie finale, dans le grand-guinolesque. On lui pardonnera cette légère outrance visuelle – mais, au demeurant, assez jubilatoire –, l’intensité narrative ne faisant presque jamais défaut.
De fait, la force de Killer Joe va bien au-delà du pacte signé en lettres de sang entre Chris, le fils, et Ansel, le père, et Killer Joe Cooper, flic ripoux tueur à gages à ses heures. Si le réalisateur de French Connection n’y va pas avec le dos de la cuillère (scènes de nudité explicite, violence hardcore, perversions psychologiques, physiques ou sexuelles), il arrive à créer en continu des interstices d’ambiguïtés entre chaque situation, chaque personnage, chaque rebondissement. D’où la sensation d’assister à une farce diabolique ou l’exubérance des caractères convoqués nous renvoie à l’image d’une Amérique profonde incapable de voir le mal qui la ronge, la nécrose, la tue. L’aspect cru du film – que certains trouveront caricatural, stéréotypé, gratuit dans sa violence conclusive – flingue la moindre humanité au profit d’un jeu de dupe où les faiblesses de chacun deviennent les arguments implacables d’un cinéaste qui sait manier comme personne l’art de l’ironie acerbe.
Friedkin se délecte de ces figures tristes, malchanceuses car paumées, contraintes de subir et de faire subir une violence au quotidien, inscription fataliste d’une société télévisuelle avilissante remplit de mobile-homes vétustes où se scellent les drames humains. La farce est macabre, le happy end proscrit, le refuge impossible. De cette démence viendra le mal, incarné par un Matthew McConaughey transfiguré. L’acteur semble opérer un changement de trajectoire et prête son physique de play-boy au service de cet ange exterminateur. Electrisant en diable, parfait en Lucifer manipulateur, jouisseur, froid et implacable, il tient ici le rôle de sa vie (deux scènes risquent de devenir culte. Celle avec la fille Dottie (Juno Temple) et celle avec la belle-mère (Gina Gershon)). Le reste du casting est au diapason avec une mention spéciale à Gina Gershon (Bound, Showgirls) en femme humiliée lors d’une séquence tout bonnement incroyable.
Killer Joe distille une vivacité étonnante de la part d’un homme de 77 ans (un peu comme Clint Eastwood dans Gran Torino). Cette danse avec le diable ne peut laisser indifférent. C’est un pied de nez brillant, aussi gratuit qu’effroyable, sur les dérèglements des valeurs quelles qu’elles soient. La raison ? C’est qu’il n’y a plus de valeurs, juste des hommes et des femmes soumis à leurs propres regards. L’impertinence de Friedkin nous offre, à défaut d’un grand polar noir métaphysique sur le concept du bien et du mal, un drame familial virtuose sur la décadence de notre civilisation. geoffroy
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