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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Gerry
USA / 2002
03.03.04
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LA LONGUE MARCHE
"- Ca va prendre un temps fou, Gerry."
Hésitons sur le qualificatif. Ovni? Tant que ça? Expérimental? Vraiment? Contemplatif? Seulement? Un peu de tout ça, et plus encore. Certains diront : soporifique, ennuyeux, inintéressant. Et en fait, peu importe. Un an avant l'excellent Elephant, Gus Van Sant s'aventurait dans les grandes étendues désertiques et s'y perdait, avec une forme de délectation. L'expérience, plus brouillon et moins cérébrale que sa Palme d'Or, possède une puissance indéniable. Filmant au présent, se débarrassant des conventions narratives, éludant la présentation et la psychologie des personnages (au point de se demander s'il ne s'agit pas d'un mirage), le cinéaste livre un film plus qu'épuré : dénudé.
Et comme tous fils électriques dénudés, on frôle le danger. Peu de mots sont échangés. Ici deux notions prennent une réelle dimension : le temps et l'espace. Pas besoin de violeurs (Twentynine Palms), de grosses bestioles, de créatures surnaturelles ou d'une suceuse (The Brown Bunny), l'action réside dans l'unique piège forgé par ses artisans ; la perte de repères. Juste le silence qui interfère dans ce temps qui passe, fatal et cet espace, déroutant et mortel. La respiration des individus a, conséquemment, plus d'importance que les dialogues, rares. Et quand il surgissent, qu'ils nous surprennent, il y a un temps, un léger décalage, pour comprendre de quoi ces deux amis parlent. Van Sant s'attache à coller à une réalité. Le film n'est qu'un morceau de la vie de Gerry. Grâce à leurs conversations, on devine à quoi elle ressemble avant l'arrivée dans le désert. Le spectateur prend en cours de route leur amitié, et le film ne parle que de ça. Jusqu'à l'extinction totale de cette relation.
Le plus beau moment d'ailleurs n'a rien à voir avec les mots. Comme télépathes, ces deux complices se regardent du coin de l'oeil et amorcent une course à pieds, vivifiante, véloce. Sans rien dire, ils jouent le jeu. Et à l'instar de tous ses bons films, Van Sant filme la jeunesse américaine comme personne, sans pathos, sans provocation. Ses héros traînent le désespoir et la mélancolie des êtres mal dans leur peau. Et leur beauté romantique aussi.
Incarnés par le parfait Matt Damon et le non moins parfait (mais plus attachant, plus beau, plus barvard) Casey Affleck (le frère de l'autre), Gerry invite d'autres personnages : le paysage, les nuages. Entre folie intérieure et agression extérieure, les deux jeunes hommes vont tenter de retrouver leur chemin. Nulle allégorie. Juste un fait, divers. Mortel. Ils peuvent conquérir Thèbes dans un jeu vidéo virtuel mais sont incapables de s'orienter dans ce désert californien. Tout est là. En temps réel.
Et puis, parfois, Van Sant, s'autorise une déviation. Aux frontières de l'absurde quand Affleck (Casey, hein, pas Ben) est perché sur son rocher. Episode parmi les épisodes, le moment semble culte, hilarant. Ce serait un film muet, ça nous ferait le même effet.
C'était peut-être la vocation première de Van Sant. Réaliser un film qui renoue avec l'essence du cinéma, la puissance d'évocation des images. Il y a bien sûr le son. Mais ce sont les pas qui s'enfoncent dans le sable. Et sinon des délires verbaux de la génération Tarantino. ils sont interchangeables et n'ont rien de significatifs. On déresponsabilise les mots, anodins, perdus à jamais, envolés dans cet espace immense où Gerry et Gerry sont seuls. Leur fatigue est plus visible. Ils ne deviennent que l'ombre d'eux mêmes. Leur déchéance fait écho à une forme de destruction des relations humaines telles que le cinéma cherche à les transformer pour les enfermer dans un cadre narratif qui lui est propre.
Le film, magnifique, aride décevra sans doute les admirateurs d'Elephant. Gerry apparaîtra au mieux comme une ébauche d'un nouveau style, d'une nouvelle période du réalisateur. Cet hommage à la solitude, interminable, forcément, est l'histoire de deux jeunes mecs pour qui aller vers le sud s'est avéré "un putain de désastre". Les détracteurs y verront un documentaire National Geographic sur des nuages en mouvements. Hors, tout est existentiel. Ici point d'amour, mais la mort. Et des corps, paralysés, immobiles. Il faut du temps pour apprécier le spectacle. De la patience. Le film n'est pas à consommer, mais plutôt à se digérer.
D'ailleurs est-ce que Gerry a existé? De cette exploration que retient-on? Un voyage initiatique, la perte de l'innocence, la violence intérieure? Hésitons sur l'interprétation. vincy
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