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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Do Not Disturb
France / 2012
03.10.2012
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LES INFIDÈLES
« Le film avec E.T. qui revient voir Elliot. Il y a toujours de la lumière, mais plus au bout de son doigt. »
A l’origine, il y a un film indépendant américain, récent, Humpday, à la fois frais et légèrement roboratif sur deux mâles hétéros trentenaires qui essaient de faire une vidéo porno au nom d’un art transgressif et sans tabou. Deux hétéros qui tentent un accouplement homosexuel. Manière de banaliser la sexualité, en la débloquant.
Yvan Attal la refait (remake) à sa sauce. Le sujet et l’objet sont identiques. La fin est similaire. Il y ajoute ses propres thèmes, ceux déjà évoqués dans ses précédentes réalisations. Le couple qu’il forme avec Laetitia Casta est mis à l’épreuve d’une expérience, les faux-semblants du conformisme sont dévoilés au grand jour, les limites de chacun apparaissent. Quelles sont ces limites pour un réalisateur, pour un homme, une femme, et finalement jusqu’où le sexe peut nous conduire ?
A l’image de la première séquence, Attal ne peut pas aller jusqu’au bout : coït interruptus. Ça peut paraître frustrant, comme dans Humpday, mais cela nous interroge surtout sur la représentativité de l’acte homosexuel (comprendre une sodomie entre deux mâles) qui semble impossible dans un cinéma « mainstream ». La limite de l’hétéro masculin coïncide ainsi avec une frontière pour une œuvre artistique grand public.
Cependant, il ne faudrait pas oublier tous les troubles qui ont jalonné l’histoire jusqu’à cette débandade dans la chambre d’hôtel. Attal porte un regard ambivalent sur l’amitié masculine aussi hétérosexuelle qu’elle soit : toujours un peu ados dans l’esprit, très tactiles, les mots placés souvent en dessous de la ceinture… Les dialogues, très drôles dans la première partie, sont remplis de sous entendus grivois ou de doubles sens.
L'autre femme de sa vie
Ce duo qu’il forme avec François Cluzet (impeccable évidemment) a pourtant le défaut d’être écrasé par les femmes. On ne se refait pas. Attal a beau vouloir faire des films sur l’identité masculine et l’incompréhension du sexe opposé, il préfère magnifier ses personnages féminins et ridiculiser par petites humiliations perverses les masculins.
Ainsi le couple lesbien « underground » Asia Argento/Charlotte Gainsbourg nous séduit d’emblée avec ses tatouages, sa liberté morale, et son gode-ceinture. Et surtout, Laetitia Casta, sans aucun doute pour la première fois de sa carrière, trouve un grand rôle, qu’elle interprète avec justesse, peu importe les situations, comiques, érotiques, dramatiques, et même mélancoliques. Les meilleures scènes sont pour elles. Sans être une immense tragédienne, et malgré sa beauté plastique, elle incarne la femme amoureuse, convenue, pas forcément convenable, sans anicroches.
Avec ces deux facettes de la féminité, Attal explore davantage le désir féminin, alors que son film devait s’attaquer aux blocages masculins. Il s’intéresse plus au mystère de l’autre qu’aux limites des siens. L’identité sexuelle est confuse chez elles quand elle semble trop affirmée chez eux.
Outre ses petites nuances qui le diffèrent du film originel, Do Not Disturb change aussi sa tonalité. Il y a du rythme, des gags, de belles petites idées, un soin réel apporté au son et à l’image. Même la décadence est sublimée. C’est peut-être là que le film n’atteint pas ses objectifs. Le réalisateur n’offre jamais la possibilité à son œuvre de dépasser son propre cadre. On ne s’imagine jamais que ces deux amis de jeunesse vont aller au-delà d’un touche-pipi quand les femmes dévoilent une intimité finalement bien plus flamboyante. Les excès, on en parle, on en frime, mais ils ne se produisent que dans le lit des lesbiennes ou dans une anecdote de son épouse.
L’artiste, et l’homme qu’il est, ne parvient pas à déranger complètement. On image un Von Trier ou un Van Sant avec une telle matière, repoussant « les limites de l’art. » Lui s’arrête à un plan cul impuissant enregistré sur une petite caméra vidéo amateur. Au final, comme les deux amis, il se défile plutôt que de nous enfiler. Cela ne bousculera que ceux qui ne sont pas très clairs avec le sujet.
Heureusement, le cinéaste nous emmène dans une deuxième partie un peu plus onirique. Une conversation surréaliste avec des contrôleurs dans le métro, un voisin de cellule de dégrisement qui chante du Dalida… Le film perd son rythme, s’assombrit. Il se verrouille là où l’on attendait un déverrouillage. Certes, il y a une jolie dialectique, des notions universitaires de psychologie. Mais l’humour s’estompe au profit d’un sur-place dans la chambre d’hôtel, illustration parfaite d’une panne sexuelle. Mais, comme pour Humpday, la séquence est longue, s’étire un peu inutilement, et ennuie superficiellement. Cluzet a beau mettre toute son énergie, son talent, rien n’y fait. Il n’y a rien à voir à part deux quadras bedonnants, respectivement en slip beauf et en caleçon large, autant dire pas sexys du tout, incapables de lâcher prise, au nom de l’art, de l’amitié, de l’expérience. Ce désir apathique rend le film clinique et froid. Toute sa chaleur a disparu.
Do Not Disturb est imprégné du défaut majeur du personnage d’Attal : il est trop cérébral.
vincy
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