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COURGE OU L'INNOCENCE PERSÉCUTÉE
«- J’ai vu une bizarrerie maximalement bizarre ! »
L’animation française est étonnante. Aussi bien dans ses propositions narratives – sa qualité première – que, désormais, par sa maîtrise technique. Et c’est tant mieux ! Car passer d’une production rachitique dans les années 90 (moins de dix films) à plus de 40 longs-métrages au cours de la période 2000-2010, démontre le renouveau d’un genre servi par un savoir-faire reconnu mondialement. Mise à part quelques longs-métrages calibrés « grand public » (on pense à la trilogie de Besson Arthur et les Minimoys ou au film de Bergeron Un monstre à Paris), la plupart des œuvres proposées respirent une authenticité créative incontestable, signés par de véritables auteurs. Voilà, peut-être, la spécificité d’un cinéma d’animation riche en talent capable de proposer des films aussi singuliers que Mia et le Migou (Girerd, 2008), l’Illusionniste (Chomet, 2010), le Chat du Rabbin (Sfar & Delesvaux, 2011), le Tableau (Laguionie, 2011), Zarafa (Bezançon & Lie, 2012) ou, film qui nous intéresse ici, le Jour des Corneilles.
Récit naturaliste réalisé par Jean-Christophe Dessaint (dont c’est le premier long comme réalisateur), le Jour des Corneilles s’inscrit dans la plus pure tradition des contes pour enfants avec son histoire d’ogre imaginaire élevant, au cœur d’une forêt mystérieuse peuplée d’esprits, un enfant sauvageon appelé fils. Classique. Mais réussit. D’autant que le réalisateur a eu la bonne idée d’inversé les repères habituels des contes horrifiques pour faire du monde des hommes celui du danger, de l’étrangeté, de l’inconnu, de la découverte. Courge, l’enfant des bois, a peur du monde extérieur. Son père, un rustre colérique, lui interdit toute excursion en dehors de la forêt en affirmant qu’aller au-delà de la lisière c’est mourir à coup sûr. Mais Courge est curieux, comme attiré par cette étendue ouverte sur le ciel. En bravant l’interdit paternel, il passe de l’ombre à la lumière, change de monde mais pas forcément de regard. S’ensuit une quête identitaire rocambolesque, enlevée, drôle, émouvante. Même si sa conclusion dans son explication casse un peu le mystère d’une histoire féerique à bien des égards.
De fait, l’incursion par-delà la forêt ne sera pas sans conséquence. Pour le jeune Courge – qui rencontrera la pétillante Manon, jeune fille du docteur –, comme pour son père. Leur destin est lié. Lié à cette forêt et à ce village si longtemps caché par un père dur devenu insensible à la chaleur humaine. Fort de sa thématique principale, le film développe plusieurs sous-thématiques qui lui sont indissociables. Au point de rendre tangible – dans sa mise en action – les sentiments qui assaillent de toute part le jeune Courge. S’il découvre de nouvelles sensations (s’habiller, manger avec des couverts, discuter au clair de lune avec la belle Manon, dormir dans des draps, ne pas tuer des animaux pour le plaisir, ressentir de l’affection, de l’amour, de la tendresse…), il refuse cette accession au bonheur simple tant que son père n’aura pas (re)trouvé l’amour et la paix intérieure. Il servira, jusqu’à la fin, de trait d’union dynamique au moteur romanesque d’une histoire conçue sur un mode de représentation où cohabitent deux mondes (forêt-village ; ombre-lumière ; barbarie-civilisation ; rêve-réalité ; père-fils).
Au-delà de la lecture proposée par le cinéaste, Le Jour des Corneilles vaut surtout le détour dans son approche graphique. Le film est de toute beauté. Il se compose, dans un savant mélange de dessins peints au fusain, d’effet de lumières saisissant, de paysages posés et d’animation fluide, coulée, très réaliste avec les personnages représentés. L’immersion est immédiate, presque magique. Un peu à la façon d’un Miyazaki, la poésie demeure. Car sous ses aspects simplistes, le destin du jeune sauvageon Courge demeure implacable, inévitable, à la fois identitaire, affectif, tragique, terriblement humain. Reste le casting vocal. Il frise le sans-faute. La voix rocailleuse et profonde d’un Jean Reno répond à celle, beaucoup plus candide, de Lorànt Deutsch. L’alchimie fait mouche. Tout comme l’idée, géniale, d’avoir engagé le regretté Claude Chabrol afin qu’il prête sa voix si particulière au bon docteur. geoffroy
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