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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Looper
USA / 2012
31.10.2012
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PAS LOUPÉ
Looper est un film sous référence tiré vers le haut par un scénario habile. Reprenant le concept du voyage dans le temps, le troisième long-métrage de Rian Johnson (peu connu chez nous mais responsable, en 2009, d’Une arnaque presque parfaite plutôt sympathique) s’inscrit dans la lignée des « petits » films de genre surprenant façon District 9 (Blomkamp), Moon ou Source Code (Ducan Jones). "Tout de go", nous nous disons qu’il est malin, bien réalisé et suffisamment original pour enlever l’adhésion malgré une trame narrative par moment atone. A l’image du dernier acte, beaucoup plus visuel dans son approche scénique, sorte de conclusion infaillible un brin moralisateur.
Mais ne boudons pas notre plaisir autour de ce spectacle savamment orchestré ou futur, passé et présent s’imbriquent dans le désordre d’un monde ou tout peut encore changer. Car la petite histoire, celle de Joe, tueur à gages – dit « looper » –, employé par la mafia en 2044 afin de liquider des témoins gênants envoyés du futur, va rencontrer la grande histoire au détour d’un beau raté. En n’arrivant pas à tuer sa dernière victime, qui s’avère être son moi du futur, il va déclencher une réaction en chaîne dont l’issue pourrait bien bouleverser l’ordre du monde.
Par ce canevas des plus astucieux, Rian Johnson bricole un film polymorphe ou se succède, tour à tour, des sous-genres tels que le film noir, le thriller urbain, l’essai d’anticipation ou le manga. Proche, en réalité, du Terminator de Cameron (quelqu’un du futur se retrouve dans le passé pour éliminer une menace potentielle), Looper affirme son identité dans le mélange des genres, sorte de feux de paille lancés pour construire une ambiance particulière portée par un visuel réaliste et froid. En dehors du concept de base anticipant ce que pourrait devenir notre civilisation dans un avenir proche, le réalisateur se moque des vraisemblances inhérentes à tout paradoxe temporel et s’oriente sans détour vers une épure narrative marquée par un twist final bouclant la boucle.
L’équilibre entre action et réflexion, cinéma populaire et vraie proposition de genre est tenu. Mieux, en proposant une rencontre inédite entre les deux Joe, suite à la décision du jeune Joe (Joseph Gordon-Levitt épatant) de ne pas appuyer sur la gâchette, Rian Johnson ne commet plus d’erreur, sacrifie son spectacle de série B pour en faire un grand film de SF interrogeant les concepts de jouissance, de finitude, de vie, de mort, de bien et de mal. L’apparente complexité scénaristique du film tombe à partir du moment où les deux Joe se retrouvent dans le même espace-temps (un peu comme dans Matrix des frères Wachowski dès que la pilule est absorbée par Néo) . Sur ce point le scénario est brillant. Il évite les pièges basiques de la vengeance aveugle, de la rébellion unique contre une mafia omnipotente, du revirement facile ou de la complicité contre nature.
Le western en référence
La confrontation étonne. Identitaire, elle deviendra philosophique. Si le vieux Joe (Bruce Willis plus en forme que jamais) motive son arrivée dans le passé, perturbant par la même occasion l’existence de son incarnation plus jeune, il ne peut concevoir autre chose que la mission qu’il s’est confié en quittant son présent. Or, le jeune Joe est, quant à lui, dans son présent. Soit dans un temps modulable, changeant, ou chaque perturbation peut remettre en cause une vision de l’existence. Du thriller urbain futuriste de départ plutôt stylisé et mécanique dans son cheminement d’évènements, nous passons au récit d’anticipation existentiel via un face à face abrupt questionnant les thèmes liés à l’identité, le libre arbitre, le sacrifice ou la résolution du mal par la violence.
Pour réussir ce pari, le réalisateur a décidé de ne pas recourir à un artefact de pixels capable de représenter artificiellement l’un ou l’autre des Joe. Joseph Gordon-Levitt s’est grimé en jeune Bruce Willis, nez refait, lentilles bleues, accent à l’appui. Le mimétisme est parfait. La sensation d’avoir à faire à la même personne aussi. Et puis l’imaginaire du spectateur fait le reste. L’affiche, de ce point de vue, n’est pas trompeuse. Au contraire. Elle résume assez bien les enjeux finaux d’une histoire huilée pour un final tétanisant à plus d’un titre. Sur ce point le réalisateur nous réserve un dernier changement d’arc narratif. Le western est alors convoqué dans un mixte étrange entre les films de Ford, le Witness de Peter Weir et le Signs de M. Shyamalan. Est-ce celui de trop ? Sans doute ! Si le confinement par-delà la ville dans une ferme isolée où vit Sarah (Emily Blunt toujours impeccable) et son fils Cid, enfant aux pouvoirs cachés, sied bien à la dramaturgie voulue par le cinéaste, l’artifice scénaristique peut paraître grossier dans la préparation du twist final. Même si celui-ci surprend. A ce titre, les fans de manga ne seront pas déçus…
Looper est un film à scénario – comprenez par là que la mise en scène, pourtant agréable, a du mal à exister pour elle-même –. Un peu à la façon d’Usual Suspects, même si les pistes évoquées ne trouvent pas toujours de réponses. Mais les questions demeurent. Et elles sont affolantes dans leur dimension humaine, existentielle, intime. Comme d’éternelles interrogations que la fin d’un cycle temporel n’efface pas totalement. geoffroy
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