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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Le Capital
France / 2012
14.11.2012
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GANG DE REQUINS
"J'enrichis les riches, j'appauvris les pauvres. Je suis un banquier normal."
Les temps changent. Costa-Gavras, infatigable pourfendeur des dictateurs et fascistes de tout poil, se tourne depuis plusieurs films vers les nouveaux fléaux de nos sociétés modernes : le chômage (Le couperet), le refus de l'autre (Eden à l'Ouest) et, avec Le capital, les rouages économiques et financiers qui régissent désormais le monde. Pour remonter cette filière de l'argent, le cinéaste a choisi d'emmener le spectateur dans l'intimité, et presque dans la tête, du dirigeant d'un grand groupe bancaire. A ses côtés, on s'initie aux mécanismes financiers et aux règles fluctuantes de ce jeu de dupes où tous les coups sont permis. Inspiré du roman éponyme de Stéphane Osmont et nourri des nombreux entretiens réalisés par Costa-Gavras lui-même avec des acteurs du monde financier, le scénario confronte le spectateur à des situations réelles et concrètes : credo de la rentabilité à court terme, obsession du bonus, culte des actionnaires... D'abord, le film parvient à rendre Marc Tourneuil sympathique en le faisant incarner par le populaire Gad Elmaleh. Puis, peu à peu, l'ambiguïté s'installe. On espère voir le personnage choisir définitivement le camp de l'éthique et de la morale. Mais rapidement, son parcours devient celui d'un homme qui se déshumanise au fur et à mesure qu'il franchit les obstacles. Sa réussite est à ce prix, quitte à devoir tout abandonner derrière lui.
Le portrait est cruel, sans concession, et reflète à la perfection une société qui encourage toujours plus d'individualisme. Une séquence en apparence anodine renforce cette sensation. Lorsque Marc Tourneuil rend visite à ses parents, les enfants de la famille jouent tous ensemble dans un joyeux chaos. Puis le banquier leur distribue des consoles de jeu portables, et soudain chaque enfant se met à jouer dans son coin, totalement déconnecté des autres, et soucieux seulement de sa propre performance.
Haletant, tragique, révoltant
Le symbole est fort, dénonçant non seulement le pouvoir pervers du consumérisme outrancier mais également l'opportunisme d'un système qui tente de formater l'individu dès le plus jeune âge. On est frappé également par l'avidité avec laquelle les protagonistes amassent les millions. Non dans un but précis, mais par habitude, ou tout simplement parce que c'est possible. Passé un certain seuil, l'argent devient un concept abstrait, dépourvu de toute signification, comme dans un jeu infernal et absurde qui ne s'arrêterait jamais.
La sécheresse de la mise en scène et la construction méthodique de l'histoire (au travers de scènes courtes qui font toutes avancer le récit) font du Capital un thriller haletant aux accents tragiques et révoltants. Plus le noeud de l'intrigue se resserre, plus le personnage de Marc Tourneuil semble pris au piège du système, incapable de lutter non contre ses ennemis, mais contre ses propres démons. La démonstration est d'autant plus juste que Costa-Gavras évite de forcer le trait. Ses personnages sont juste des hommes ordinaires dévoués corps et âmes à une entité abstraite, le marché, qu'ils vénèrent comme une divinité moderne. Leur cynisme n'a d'égal que leur immense naïveté lorsqu'ils s'aperçoivent avec stupéfaction que leurs rivaux ou ennemis utilisent les mêmes armes qu'eux. Et pourtant, tout ce petit monde a un "code d'honneur" : "on ne se dévore pas entre nous" affirme Marc Tourneuil. Il est bien plus lucratif de s'unir pour dévorer les autres...
Avec ce film, Costa-Gavras renoue ainsi incontestablement avec le grand cinéma engagé et politique qui l'a fait connaître. A une époque où l'avenir des nations se joue à la bourse et dans les agences de notation, difficile en effet de trouver un sujet plus brûlant et universel que celui de la course à la rentabilité et de la déréglementation financière. Le capital agit alors comme un électrochoc salutaire qui, une fois passés la colère et le dégoût, invite le spectateur à la réflexion, voire à l'action. Preuve qu'un cinéma de divertissement, brillant et captivant, est parfaitement à même d'interpeller les consciences. A défaut de changer le monde, pourquoi ne pas commencer par les mentalités ?! MpM
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