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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Anna Karenine (Anna Karenina)
Royaume Uni / 2012
05.12.2012
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DÉRAILLEMENT(S)
"- Neuf années de mariage peuvent-elles être effacées par une tocade?
- Non, mais le péché a un prix"
Joe Wright revient à l'adaptation épique, le livre impossible à transposer, si souvent filmé, avec costumes et moeurs d'un autre siècle. La morale qui étouffe sous les carcans d'une société rigide où tout est réglé, convenu. Anna Karénine est un monstre de la littérature dont la tragédie fascine l'art voyeur du cinéma. Wright y insuffle un style singulier qui provoque d'étranges sensations. Si l'histoire, essentiellement concentrée sur l'aspect romanesque et sentimental, ne change pas, le formalisme en fait une oeuvre différente. Son film est un théâtre : chacun est en représentation. Ce jeu d'illusions perturbe autant qu'il intrigue. Les personnages changent ainsi de costumes comme s'ils étaient des comédiens en coulisses, aidés par des habilleurs. Le fonctionnaire devient ainsi serveur puis musicien avant de filer en vélo dans de faux plans séquences. Le décor se transforme sous nos yeux. La même scène peut servir de bureau technocratique, d'hippodrome, de chambre ou de prairie. Artistiquement, c'est réussit. Les métamorphoses donnent presque le tournis. Le cinéaste cherche à nous emmener dans une pièce dont on connait les moindres rebondissements, en nous perdant dans un labyrinthe visuel et narratif. Tout est fluide dans ce conte, où les marionnettes sont tirés par des fils invisibles. Même les trains sont miniatures, comme ceux des enfants.
Mais les trains peuvent aussi tuer, dans le monde des adultes quand un cheminot est accidentellement tranché en deux. Le drame est alors annoncé, tandis Karénine croise le regard de Vronski, pour la première fois.. Alors le réalisateur quitte le théâtre et revient à un cinéma plus "normé", moins ludique. Dès qu'Anna commence à être l'infidèle épouse, passionnément amoureuse de son jeune amant, le théâtre disparaît. La haute société russe n'est plus sous l'observation des regards, ses gestes ne sont plus chorégraphiés. Ainsi quand Vronski et Anna Karénine tombent amoureux, c'est une valse millimétrée qui illustre la parfaite symbiose, l'harmonie idéale entre eux. Mais dès que leur liaison commence, la vérité et le scandale dérèglent progressivement les habitudes. Or enfreindre les règles est pire que de violer les lois. Plus besoin de costumiers, les décors deviennent réalistes. Et le superficiel disparaît.
Tentations, séduction, palpitations, pulsions et trahisons. Les vertiges de l'amour, la fièvre dans le sang et les phalanges qui craquent... Le cinéaste semble adorer, après Orgueil et préjugés et Reviens-moi, ces tragédies amoureuses et autres liaisons dangereuses s'enracinant dans des sociétés mourantes. Ici encore, l'héroïne aspire à déchirer son corset, rêve de liberté, croit à l'amour inaltérable. "Cet amour rachète-t-il tous nos crimes?" Cette envie de renaissance dans une caste crépusculaire... quitte à sombrer dans la folie. Joe Wright cherche à chaque fois une manière nouvelle de raconter les classiques. Sûrement pour nous les faire aimer davantage. Mais le cinéaste, contrairement aux deux autres films précédemment cités, parvient moins bien à se détacher de l'oeuvre. Moins vertigineux, hélas.
Il se sent contraint de dépeindre la fracture sociale de la société russe, de moraliser l'ensemble avec un portrait idéaliste des paysans et des bons seigneurs proches du peuple. Plus personne ne s'offre en spectacle car il n'y a plus de spectateurs. Les belles robes ne cachent plus aucun tourments.
Le réalisateur renouvelle le genre, avec une esthétique presque trop écrasante, mais, cependant, passionnante et sublime. Les acteurs clament leur Tosltoï avec justesse, même si Keira Knightley est sans doute trop évanescente, pas assez charnelle, un peu à l'image de l'ensemble du film. Reste la beauté universelle de cette histoire, qui ne prend pas une ride. Au moins cet énième Anna Karénine, de par ses originalités, n'est pas une banale illustration, mais bien une réinterprétation visuelle qui laisse quelques images en tête. Joe Wright est en cela plus proche d'un Peter Greenaway que d'un David Lean. Ce n'est pas le moindre des compliments à une époque où ce genre de cinéma est formaté. Comme si le cinéaste voulait, lui aussi, à l'instar de son héroïne russe, se libérer de ses carcans dans un système trop cadré. vincy
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