Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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L'homme qui rit


France / 2012

26.12.2012
 



LE RETOUR DU JOKER





"Tremblez messieurs, un jour vous ne serez plus les maîtres."

Jean-Pierre Améris, qui nous avait laissé sur la note burlesque des Emotifs anonymes, revient avec un projet d’une toute autre ampleur : l’adaptation du foisonnant roman de Victor Hugo, L’homme qui rit, caractérisé par ses propos politiques, poétiques et sociologiques, ainsi que pour ses nombreuses digressions. Il s'agit en l’occurrence ici d'une adaptation atemporelle et d'une grande beauté formelle, resserrée autour du personnage de Gwynplaine, et où se mêlent histoire d'amour déchirante, destin tragique et thématiques politiques d'une extrême actualité.

On retrouve notamment au cœur du film l’un des sujets de prédilection du cinéaste, à savoir la question de la différence et la manière dont chacun la gère. Gwynplaine est la risée de tous à cause de sa cicatrice mais finit par trouver sa place dans le monde du théâtre. Au contraire, la cécité de Déa devient comme une bénédiction. Incapable de voir le visage ravagé de Gwynplaine, elle ne s’intéresse qu’à sa personnalité et l’aime d’un amour pur et entier. On sent chez Jean-Pierre Améris, comme sous la plume de Hugo, la volonté d’opposer l’aveugle capable de voir la vraie beauté (celle de l’âme) et les voyants qui ne s’attachent qu’aux apparences. Le personnage de la duchesse est ainsi comme le double négatif des deux personnages : sa beauté dissimule sa noirceur d’âme et ses yeux l’empêchent de percevoir la véritable nature de Gwynplaine.

Toute l’intrigue est d’ailleurs bâtie sur cette notion de dualité et de contraires. La vie pauvre et besogneuse de forain est heureuse tandis que l’existence parmi l’aristocratie est pleine de perfidie et de trahison ; les "bas-fonds" où se donne le spectacle de Gwynplaine et Déa transpirent solidarité et bonne humeur alors que le château dont le jeune homme hérite semble l’antichambre de l’enfer ; le marchand ambulant bourru qui recueille Gwynplaine et Déa les traite avec bienveillance et respect tandis que le majordome aux ordres du jeune homme l’envoie à sa perte, etc. Les lieux, les époques et même les personnages se répondent ainsi d’une séquence à une autre pour donner une profondeur accrue au destin cruel des deux jeunes gens, trop purs pour survivre à ce monde de faux-semblants.

Même s’il place leur histoire d’amour absolu au cœur de son film, Jean-Pierre Améris ne néglige pas pour autant la dimension extrêmement politique du roman de Hugo. On a même parfois l’impression que sa propre voix se mêle à celle du romancier, tant les propos semblent actuels, mais c’est pourtant bien à l’écrivain du XIXe siècle que l’on doit ces discours vibrants sur la corruption à la tête de l’état, l’horreur des inégalités sociales et la fragilité d’un monde fait d’injustice et d’arbitraire. L’apparition de Gwynplaine à la chambre des Lords s’impose ainsi comme l’un des moments forts du film, à la fois dérangeant et édifiant, et d’un lyrisme exacerbé.

Presque trop, peut-être. Entraîné par le romanesque de son intrigue, Jean-Pierre Améris se laisse en effet à plusieurs reprises déborder par un excès de romantisme et de poésie. Le récit traîne alors en longueur et s’enlise dans des circonvolutions empesées. Au final, pourtant, ces quelques passages sont vite effacés par l’impressionnante maîtrise formelle dont fait preuve le cinéaste.

L’esthétique très tranchée du film fait notamment de chaque séquence un univers spécifique à l’identité visuelle propre. Les ambiances se succèdent avec les tonalités chromatiques : tour à tour anxiogènes, horrifiques, joyeuses, éblouissantes, mortifères… L’éclairage semble par moments celui d’une bougie, donnant des tons mordorés et feutrés. Puis dans la scène suivante, on est dans un camaïeu de gris froids et inquiétants.

Tout est d’une grande beauté plastique, quitte à imposer un style très manichéen au film. Sans doute un peu risqué dans l’optique de séduire le grand public, mais il fallait indéniablement cette touche personnelle pour éviter le classicisme d’une adaptation télévisée « à la Josée Dayan » et justifier la dimension extrêmement cinématographique, et donc artistique, du projet.
 
MpM

 
 
 
 

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