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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Lincoln
USA / 2012
30.01.2013
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OLD MR. LINCOLN
"Tout commence par l'égalité. C'est la justice!"
Le courage politique n’est pas la plus petite des vertus. Essentiel dans le combat des idées, il s’avère primordial lorsqu’il est question d’enjeu de société majeur amené à faire date. Cette dimension, complexe d’un point de vue narratif, est au cœur du dernier film de Steven Spielberg, Lincoln. Car au-delà du biopic tant et tant annoncé à grands renforts de promotions savamment orchestrées, nous nous retrouvons en face d’un long-métrage assumant l’importance du geste politique dans sa dimension effective et par lequel un homme – ou plusieurs –, est capable de changer le cours du monde. Et la destinée d'un pays.
Ceci explique sans doute pourquoi Lincoln n’est pas qu’un simple portrait, fut-il réussi, du 16ème président des Etats-Unis. Conscient de vivre une époque charnière dominée par une crise économique mondiale déstabilisante à plus d’un titre, Spielberg nous propose une œuvre foncièrement pédagogique centrée sur la politique, les politiciens et le devoir de responsabilité. Bien sûr, il ne faudrait pas occulter la variabilité historique comme géographique d’une telle vertu, dont la rencontre entre un homme et l’Histoire, laisse éclater l’intransigeance d’une volonté capable de faire avancer à pas de géant l’universalisme sur l’obscurantisme.
Abraham Lincoln fut, assurément, de ceux-là !
Règne humain
La tâche, ardue, puisque le pari est osé, se focalise sur les derniers mois de la vie d’un président résolu à faire passer le 13ème Amendement portant sur l’abolition de l’esclavage. Ce faisant, il n’est pas étonnant d’apprendre que Spielberg aura cherché pendant dix ans la meilleure façon d’aborder un tel personnage d’un point de vue cinématographique. La mise au placard des velléités d’hagiographie béate ou de biopic consensuel renforce le parti pris du réalisateur de « présenter » Lincoln à travers la politique, les arcanes du pouvoir, les débats mouvementés à la Chambre des Représentants, le tout sur fond de guerre de Sécession dont les premières images et quelques plans de charniers nous renvoient à Il faut sauver le Soldat Ryan.
Mais l’homme n’est pas un chef de guerre. Il s’agit d’un politicien au sens noble du terme assumant avec aplomb la croyance de valeurs qu’il veut porter au plus fort d’une lutte fratricide menaçant l’équilibre du pays. Si la stature d’Abraham Lincoln est là, imposante, fragile, vigoureuse, aimante, elle n’écrase jamais l’axe narratif d’un enjeu supérieur à tout destin personnel. L'Histoire l'emporte toujours sur les petites histoires qu'aime raconter le Président à son public du moment. Pour une fois, Spielberg fixe l'Histoire, celle de son pays, de face, sans détour, ni par le biais de personnages « décalés », secondaires, forcément plus fictionnels (on pense à Oscar Schindler dans La Liste de Schindler). Il renforce ainsi l’humanité d’un homme enfermé dans sa solitude de père de la Nation conscient des enjeux qui se jouent.
Arène politique
Et c’est pour cela que le combat s’affiche. Sa mise en situation est même remarquable, puisque politique et non focalisée sur les champs de bataille, eux-mêmes à peine esquissés plus de deux minutes en tout début de film. Spielberg prend de la hauteur, laisse les mots s’entrechoquer pour faire exister l’espace démocratique issu du peuple, par le peuple pour le peuple. Pour y parvenir, le réalisateur d’Amistad applique à son film un didactisme d’école faisant du 13ème Amendement la pierre angulaire du combat politique dans sa raison d’être. Le film, dès l’entame, prend une orientation très écrite entre force de persuasion et manigance au plus haut niveau. Populaire et non populiste – la vérité historique est toujours respectée –, Lincoln sous-tend sans trop d’ambiguïtés ce que cette réforme aura rendu possible : l’élection d’un noir à la présidence des États-Unis. L’écho est frappant et explique sans doute pourquoi le film est un triomphe aux Etats-Unis.
Si la formule peut faire mouche, seul le geste est politique. Et tous les moyens sont bons pour y parvenir. Sans parler de corruption, il est des périodes où les valeurs que l’on défend peuvent être soumises aux compromissions (et ceux qui veulent aller trop vite en seront pour leurs frais ). Abraham Lincoln, sans se détourner de ses objectifs initiaux, se résoudra à emprunter un tel chemin, allant même jusqu’à prolonger la guerre entre le Nord et le Sud pour faire passer son amendement. Sacrifice périlleux. La pêche aux voix, amusante tout au long du film et portée, entre autre, par un James Spader au diapason, résume bien l’âpreté du combat dans un contre-la-montre prodigieusement bien rendu pour un film d’alcôves. Tout comme l’intervention de Thaddeus Stevens (Tommy Lee Jones sobre), républicain champion de l’égalité, qui acceptera de ravaler ses idéaux d’égalitarisme absolu en faveur du 13ème amendement en reconnaissant l’égalité de droit et non de fait. L’influence de films à la charge politique dans leur démonstration ne fait plus aucun doute (on pense à Monsieur Smith au Sénat de Frank Capra). A l'instar d'un film de procès, les arguments sont balancés et ridiculisent ces parlementaires (toute une série de "gueules" captivantes) et autres conservateurs qui préfèrent le spectacle et leurs privilèges à la raison politique. Cela fait écho à nos débats parlementaires actuels, en France et ailleurs, dès qu'il s'agit d'égalité.
Clair/obscur
Steven Spielberg s’appuie alors sur un scénario d’équilibriste ne simplifiant jamais les propos des uns et des autres (républicains / démocrates) sur l’autel de la démagogie. En rappelant que Lincoln fut le tout premier président issu du parti républicain – qui, à cette époque, était progressiste –, le réalisateur contextualise les rapports de force sans exagérer le trait entre gentils abolitionnistes et méchants esclavagistes. La sobriété sert un film suffisamment complexe pour ne pas en rajouter. D’autant que l’issue est connue… L'esprit des lumières rayonnera à travers des remparts opaques, mais il s'achèvera sur le crépuscule tragique de celui qui aura ouvert la porte...
Reste l’interprétation. Daniel Day-Lewis est tout simplement magistral. Ahurissant de vérité, il incarne un Lincoln plié par le poids de sa charge. Si la stature en impose, elle n’accapare jamais la lumière à son avantage. Phrasé, déplacement, colère, force de persuasion ou anecdotes savoureuses rythment la présence, en forme de demi-absence, du président. Comme pour nous dire qu’il n’est que l’instigateur du changement en marche. Parfois confiné à l’abri des regards dans l’intimité d’une épouse obsessionnelle, compulsive et inconsolable d’avoir perdu un fils (saisissante Sally Field), Abraham Lincoln n’a d’autre choix que d’aller jusqu’au bout de son combat. Qu’il remportera juste avant de mourir justifiant, peut-être, la peine d’avoir vécu au côté de fantômes que toute guerre charrie.
Spielberg livre un film dense, sincère, très américain dans son traitement narratif mais incroyablement précis dans sa démonstration pour toucher un large public. Complexe comme l'image et la musique qui donnent au film une vivacité fugace et des noirceurs plus profondes. Cet équilibre entre exigence du propos et capacité à le rendre universel est l'apanage des grands conteurs dont Spielberg fait assurément parti.
geoffroy
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