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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Tu seras sumo (A Normal Life. Chronicle of a Sumo Wrestler - Shinbô)
Japon / 2012
13.03.2013
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L'ECOLE DE LA CHAIR
A mi-chemin entre le portrait intimiste et le documentaire, nous nous retrouvons ici face aux espoirs et aux affres d'un jeune lutteur à la recherche de son identité.
Ce premier film de Jill Coulon, jeune réalisatrice française passionnée par l'Asie et plus particulièrement par le Japon nous propose de suivre l'étonnante destinée d'un jeune adulte dans un monde méconnu : celui du sumotori.
L'ensemble est filmé avec une distance soigneusement dosée et les scènes sont toujours extrêmement bien choisies et permettent ainsi de construire un propos d'une finesse narrative et d'une sincérité rare pour le genre documentaire. Trajet initiatique atypique ; à la fois instructif et émouvant.
L'impératif catégorique
Tu seras sumo n'offre nul moyen de se soustraire à l'autorité paternelle. Takuya, ado lambda (mais attachant) de 18 ans, vient d'obtenir son diplôme de fin de lycée (équivalent de notre bac français). Il entre donc à l'écurie Oshima. L'écurie est le nom du lieu où vivent les sumotoris, ce qui peut paraître surprenant pour désigner un lieu où vivement des hommes mais cette discipline a bel et bien quelque chose d'animal autant par le mode de vie imposé que par la pratique de la lutte elle-même).
Il faut également signaler que l'honneur de la famille est très important au Japon. Takuya craint l'échec plus que tout et c'est cette crainte qui prime sur son désir. C'est pourquoi il ne peut envisager de rejeter cet impératif du père et s'inscrit finalement dans le désir de ce dernier en partageant ses espoirs concernant son devenir.
La lutte et l'échec
Takuya veut à tout prix malgré tout réussir dans la voie qui lui a été échue, il lutte contre son échec, parvient enfin à conquérir de petites victoires au fil des nombreux efforts fournis. On le sent inévitablement en décalage avec les autres sumotoris de l'écurie avec qui il partage pourtant des moments complices dès les premiers jours.
En tant que spectateur, on le soutient, d'autant plus que le documentaire se passe "en temps réel" sans discontinuité dans la narration, ce qui induit l'effet de suspens produisant une issue incertaine.
Elle est ici autant physique que mental. Les corps s'entrechoquent sans cesse, se poussent violemment hors du cercle de combat. On perçoit mieux ici toute la dimension violente de ce sport ; le corps de Takuya ne cesse d'être blessé lors des affrontements.
Il y a une scène particulièrement marquante, un entraînement où Takuya en proie au doute sur sa destinée de sumotori, échoue encore et encore, se fait sans cesse repousser hors du cercle, est en sueur. Face aux échecs répétés et à la fatigue du corps et de l'esprit, il craque, il pleure, il s'effondre en découvrant ses limites, qui ont aussi, la fonction plus positive de permettre de se définir et d'agir en conséquence. La lutte et l'échec sont donc deux procédures nécessaires dans le parcours de Takuya.
Le choix
"Le sumo ce n'est pas pour moi" affirme Takuya comme en réponse à la fois à l'injonction de son père et au titre du film, après être parti de l'écurie en pleine nuit, incapable d'annoncer son départ à quiconque. A ce moment quelque chose se passe de l'ordre d'une brisure édifiante : il affirme ainsi son identité par la négation et s'oppose au père pour devenir ce qu'il est en refusant d'être ce qu'il sait désormais n'être pas [fait pour] lui : "je veux une vie normale : vivre dans une maison normale, avoir un travail normal, et manger normalement". Au moment du générique de fin, le film apparait autant comme une oeuvre sur la discipline sumo qu'un documentaire sur le passage à l'âge adulte qui nécessite de se choisir et de rompre avec un idéal - un chemin tracé et extérieur à soi. La négation finale laisse le choix à une liberté neuve forgée par l'épreuve contrainte, c'est donc ni plus ni moins qu'une jolie dialectique que l'on nous propose ici. Jules
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