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THE TREE OF LOVE
« Terry (Terrence Malick) cherche à échapper à tout a priori. Il est en quête d’une forme d’inspiration divine. Aussi étrange que cela puisse paraître, je crois qu’il attend de son film qu’il lui dise de quoi il parle». Cette interrogation, énoncée par l’acteur américain Nick Nolte lors de la sortie du film La Ligne rouge en 1998, résume assez bien le chemin emprunté par un cinéaste cherchant à traduire l’indicible par la seule force des images. Qu’elles soient considérées comme enivrantes ou pompeuses. Car Malick illustre comme personne, tel un peintre impressionniste, le courant continu, mais perturbé, du cycle de l’existence. Pour réussir cette empreinte, il capte, saisit, sculpte et fige, le temps d’une séquence, d’une scène ou d’un plan, des fragments de vie, imprévisibles mouvements du réel qui, assemblés dans le chaos d’un monde à la beauté indescriptible, essaient d’embrasser l'infinie complexité de la nature humaine.
À la merveille, tourné dans la foulée de The Tree of life, rompt avec les habitudes du cinéaste puisque le film, qui porte le nom de l’abbaye du Mont Saint-Michel, prolonge sa recherche d’épure cinématographique, condition indépassable pour retranscrire dans un continuum de gestes, de postures et de relations, les sentiments, pensées ou émotions du couple formé à l’écran par Ben Affleck / Olga Kurylenko. À la merveille oscille constamment entre le film expérimental et le projet esthétique. D’où le risque, grand, d’amalgame, de railleries, d’incompréhension, d’ennui. Ce qu’il faut voir, pour reprendre la citation de Nick Nolte, va au-delà de l’aspect purement philosophico-poétique recherché. Le long-métrage n’est pas conçu pour être la transcription cinématographique aboutit d’une réflexion préalable à sa mise en forme. Il s’agit, au contraire, de façonner une transcription plus libre, comme modulable, tâtonnante, éparpillée, et dont les parties seraient supérieures à un ensemble d’une cohérence toute relative.
Et pour capter ces interstices de vie, ceux que les mots ne peuvent exprimer, ceux qui se forment par blocs entiers, jour après jour, dans l’émerveillement des corps face aux choses de la vie, Malick emporte son film dans un flot continu d’une caméra aérienne qui ne s’arrête jamais – comme le cœur qui bât –, afin d’assurer le lien fragile, étonnant, sensuel, destructeur entre les êtres et le monde dans lequel ils s’y déploient. Ainsi la thématique du couple n’est jamais occultée, ni noyée dans un salmigondis de références fumeuses anormalement vulgarisées. Mieux, le réalisateur américain tisse, au-delà de son approche élégiaque sur le couple et l’amour, une "contextualisation" assez classique des différentes étapes que peut traverser chaque couple. Amour, désir, complicité, manque, doute, enfermement, ennui, séparation, retrouvailles sont ainsi abordés. D’où l’apparente banalité d’une voix off questionnant l’amour – « quel est cet amour qui nous aime ? » –, la foi ou le devoir.
L’approche fera débat. Son traitement aussi même si la fluidité de la mise en scène risque de faire consensus. Un peu comme dans The Tree of life, l’erreur serait de considérer A la merveille comme un mauvais trip new age avec ses images clichées et sa soi-disant propagande religieuse. La singularité de l’essai cinématographique invalide un tel discrédit. Aussi bien dans son traitement narratif que moral. Car en se faisant entrechoquer dans un même élan de passion élégiaque les principes d’immanence et de transcendance, dans ce qui est là, en soi, et tout autour de soi, le cinéaste ne filme pas seulement les atermoiements d’un homme épris d’un amour contradictoire. Il en dessine les contours à jamais changeant dans un symbolisme poétique sensoriel rare. Les mots ont disparu, pas les sentiments. Ni l’extrême sensibilité avec laquelle Malick triture le cœur et l’âme de nos deux personnages. geoffroy
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