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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L'artiste et son modèle (El artista y la modelo)
Espagne / 2012
13.03.2013
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L'ART ET LA MATIÈRE
Dans toute sa filmographie, Fernando Trueba entretient une grande proximité avec l’art. Ici, il radicalise cette passion en la donnant à voir au travers de ses protagonistes : Marc Cros un vieux sculpteur bougon et un peu misanthrope campé par Jean Rochefort, et une jeune femme ingénue qui accepte bientôt de poser pour lui parce qu’elle ne possède rien. Le trio étant complété par Claudia Cardinale, incarnant la femme de l’artiste et celle qui permet la rencontre entre celui-ci et son modèle se sachant déjà hors du champ d’intérêt de son mari. Le calme et la lenteur apparente du film, ainsi que son esthétique photographique (en noir et blanc) dissimulent mal les nombreuses pulsions à l’œuvre que l’on devine chez les personnages.
L’homme aux statues.
Les premières images du film suggèrent déjà une passion - voire une obsession - du détail, qui sera accentuée tout au long du film par des fondus au noir circulaires se focalisant à chaque fois sur un objet singulier. On voit Jean Rochefort observer minutieusement des éléments ramassés dans son jardin avec une fascination à la fois professionnelle et naïve. Nous sommes dans le sud de la France pendant la seconde guerre mondiale, les bruits de la nature-chants des grillons et frottements caractéristiques des herbes sèches nous l’indiquent. Dans ce cadre d’apparence sereine, contrastant avec l’époque, l’homme paraît pourtant en proie à quelques tourments secrets et de multiples doutes se dessinent sous ce visage plein de vécu dont la faculté première est de savoir regarder les choses et les êtres.
Regard et dénuement.
Pour l’art et pour l’artiste, et l’étonnement passé, la jeune fille ne tarde pas à accepter de se dénuder pour Marc avec un naturel confondant. Belle noiseuse... De longues séances de travail commencent qui correspondent à de longues séquences d’observation pour le spectateur, de la même manière que Marc apprendra à Mercé à regarder les choses et surpasser leur simple paraître : le sublime contenu dans une image ne se donne pas spontanément, il faut apprendre à regarder au-delà. Ainsi, une relation se noue peu à peu au travers d’un quotidien qui transforme les deux personnages. L’image précise nous fait sentir jusqu’aux petites tensions qui s’installent dans les corps de l’un et de l’autre. Il y a un écart entre ce qui est supposé être : une relation froide de travail ; et ce qui est réellement, que le spectateur perçoit effectivement comme tel, soit deux corps qui se côtoient de loin. Le sculpteur a oublié qu’il avait un corps et c’est une surprise désagréable pour lui de le redécouvrir à l’occasion d’une érection lors d’une séance avec son modèle. Il découvre avec stupeur qu’il n’est pas maître de sa chair comme il l’est avec la matière de ses sculptures.
Un amour vain.
Au fil des scènes, on devine un amour et une esquisse de relation, qui se présente uniquement sur le mode de l’impossibilité. Tantôt c’est la matière et le travail qui se mettent entre le corps de l’artiste et du modèle, tantôt ce sont d’autres corps qui surgissent et quand ils se retrouvent seuls, cette impossibilité demeure intacte comme si elle ne résultait pas des contingences physiques. Le blocage est purement spirituel et peut-être même éthique : une éthique résultante de la relation particulière de l’artiste à son modèle. Seuls quelques regards languissants et caresses chastes seront échangés dans le secret, avant la séparation inéluctable, une fois la statue achevée. Après la rupture, le temps dure longtemps dans une tension annonçant une destruction imminente, tout paraît trop calme et trop normal.
Une détonation brisera ce faux-semblant de vie qui continue, suivie d’un plan montrant Mercè partant pour Marseille sur la bicyclette offerte par Marc et la statue issue de sa chair qui, seule, demeure dans le décor de l’histoire qui a marqué la fin d’une existence singulière.
Si le film est à certains égards un cliché sur l’artiste névrosé qui ne peut habiter le monde une fois son travail achevé et son amour parti, ce n’en est pas moins un beau cliché artistique. Il n’est pas dénué de sensations et de grâces et on parvient à s’y arrêter, captivés. D’autant plus que le recours au champ artistique est ici utilisé pour aborder le genre humain en général et ses affects. Subtile.
Jules
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