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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Alps (Alpeis)
/ 2012
27.03.2013
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L'ENNUI DES MORTS VIVANTS
"Si je suis dur avec toi, c’est pour ton bien."
Elle danse, visage fermé, ruban de GRS à la main, sur le Carmina Burana. Trois minutes plus tard, son entraîneur menace de lui fracasser le crâne avec un marteau. Dès la séquence d’ouverture, le spectateur est placé dans la position du témoin mal à l’aise, à la limite du voyeurisme, et assistant à une scène dont il n’a pas immédiatement les clefs. Il faudra s’y habituer, car tout le film donne cette impression, entre trouble et mortification.
On avait adoré le premier long métrage de Yorgos Lanthimos, Canine, quasi huis clos oppressant dans une famille en pleine expérience totalitaire. C’est sans doute pourquoi on est déçu par Alps, qui ne va pas aussi loin dans son propos, tout en tentant d’en réitérer l’effet glaçant et choc. Là aussi, il est question de faire le bien d’autrui malgré lui, avec un autoritarisme légèrement pervers, mais l’idée de départ (captivante) semble au final peu explorée : quel plaisir prend-on à se glisser dans la vie de quelqu’un d’autre ? Quelle conséquence cela a-t-il sur ceux qui connaissaient la personne ?
Toujours froid et distant dans sa mise en scène, Yorghos Lanthimos ne permet à aucun moment à son spectateur d’entrer lui aussi dans la tête des personnages, et d’expérimenter avec eux cette impression étrange. La protagoniste principale, l’infirmière, demeure ainsi opaque et lointaine, surtout lorsque son comportement se dérègle et vire à l’obsession. Au lieu de se pencher sur ce qui l’anime, le cinéaste se contente de dresser un parallèle un peu banal entre cet étrange "métier" et le théâtre ou le cinéma où la convention permet également à n’importe qui de devenir quelqu’un d’autre. Chacun sait au fond de lui que c’est faux, mais part du principe qu’il y croit, pour savourer la pièce ou le film.
Pourtant, ce qui intéresse véritablement Lanthimos, c’est bien la déclinaison de cet artifice dans la réalité. Pas à un niveau aussi symbolique que dans son film, mais dans les petites libertés que chacun s’offre avec la vérité, se glissant parfois dans le costume d’un autre (plus grand, plus fort, plus capable…), ou portant fugacement un masque qui dissimule son vrai moi. La frontière entre la réalité et la fiction qui se substitue à cette réalité devient alors terriblement floue. Comme dans la vie, le film joue sur cette ambiguïté qu’il pousse à l’extrême. Lors de chaque scène, on est en droit de s’interroger : qu’est-ce qui est vrai ? qu’est-ce qui est simulé ?
Ce n’est plus seulement l’ambiance du film qui met mal à l’aise, mais l’idée même de cette ambiguïté permanente, et que les choses et les gens ne sont jamais vraiment tels qu’ils se montrent. Ainsi, l’infirmière peut être perçue comme un être altruiste, toujours soucieuse de satisfaire tout le monde, ou comme une égoïste dépourvue de sentiments, qui vampirise tous ceux qu’elle croise. La vérité, forcément, se situe quelque part entre les deux… On se met alors à douter face aux rapports de force (en apparence autoritaires et violents) qui opposent le chef à ses subordonnés : et s’ils étaient, eux-aussi, simulés et consentants ?
Peut-être Yorghos Lanthimos n’atteint-il pas totalement son but artistique, en perdant son spectateur en route, mais il réussit assurément sur le plan psychologique, en le faisant douter de tout, et en lui montrant qu’il n’y a jamais une seule manière de percevoir une situation. Sur ce plan-là, on retrouve tout le sel (et la perversité cinglante) du cinéaste, et on peut avancer sans trop se tromper que ce n’est pas une illusion.
MpM
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