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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Stoker
USA / 2013
01.05.2013
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LES LIENS DU SANG
"On fait parfois du mal pour s’empêcher de faire pire."
Délocalisé à Hollywwod, le si coréen Park Chan-wook n'a rien perdu de sa flamboyance. Sur la trame plutôt classique d'une confrontation entre un prédateur et sa proie désignée, il tisse un thriller noir et vénéneux à l'esthétisme follement lyrique. Les scènes, éparses et courtes, créent une ambiance anxiogène et inconfortable dans laquelle les personnages semblent se débattre, impuissants.
Plus la mise en scène suggère tension et malaise, plus le scénario semble dévier. Comme si les effets de style (notamment le travail sur le son, qui amplifie le moindre bruissement, le plus petit souffle de vent) finissaient par contaminer l'ordonnancement du microcosme formé par la famille Stoker. C'est ainsi que la part d'ombre de chacun est révélée au grand jour : par petites touches et au terme de quelques séquences quasi hallucinées, où se mêlent poésie, violence et érotisme à peine feutré.
Pas d'angélisme chez Park Chan-Wook qui renforce la noirceur du scénario écrit par Wentworth Miller avec des fulgurances visuelles aussi troublantes que maîtrisées. Ainsi ces images qui se figent, ces effets de surimpression, ces gros plans sur un détail qui donnent la sensation d’une caméra en toute liberté, personnage indépendant et omniscient qui sonde les âmes et n’hésite pas à se faire voyeur.
La froideur relative du récit s’accompagne alors d’une virtuosité de mise en scène. Plus les personnages se contiennent, plus l’image est composée, fourmillant d’éléments insolites qui trahissent le cours agité de leurs pensées. Une araignée qui remonte le long d’une jambe nue, un morceau de piano, interprété à quatre mains, qui s’achève en orgasme, une nuit d’amour où se mêlent la mort et la violence… Le cinéaste joue avec les nerfs du spectateur, brouille la frontière entre fantasme et réalité, et laisse toujours la place à un doute raisonnable : de quelle côté se situe la folie ?
Cette ambivalence permanente est le fil rouge du film, auquel elle instille juste ce qu’il faut de perversité et de cynisme. Il n’y a rien de gratuit dans la violence brute qui se dégage alors de certains passages. Impérieuse, colossale, glaçante, elle est comme un élément naturel reprenant soudain ses droits. Ceux qu’elle croise n’ont d’autre alternative que de s’y plier, ou d’en tirer leur force.
Spectaculaire plongée dans les méandres du comportement humain, Stoker prolonge sans redite l’œuvre de Park Chan-wook. Parfaitement à l’aise avec l’aspect « occidental » de son sujet, le cinéaste y apporte certaines de ses obsessions, et surtout sa vision radicale du monde. On retrouve notamment les motifs familiers de l’enfermement, de la vengeance et du couple tabou aux yeux de la société. De la même manière, ses personnages portent en eux des pulsions ancestrales qu’ils ne cherchent pas tant à contenir qu’à satisfaire. Lui, tel un chercheur sadique, observe jusqu’où ils sont capables d’aller mais aussi ce que le spectateur peut encaisser sans dommage. Là encore, c’est propre au cinéma de Park Chan-wook : de la douleur, pas mal d’émotions, parfois un peu d’esbroufe… mais surtout un plaisir brut et immédiat qui fait écho à ce que la nature humaine a de plus inavouable.
MpM
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