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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Sous surveillance (The Company You Keep)
USA / 2012
08.05.2013
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FAUX COUPABLES
«- Je paie des impôts pour que Big Brother m’écoute. »
Sous son aspect apparent de thriller contemporain, entre traque et paranoïa, Sous surveillance est avant tout un prétexte pour Robert Redford de revenir à un cinéma engagé, faisant la passerelle entre ses glorieuses années 70 idéalistes et un présent plus sombre où les droits sont bafoués. Dès la première séquence, Susan Sarandon, « desperate housewive », se livre aux crocs du FBI et réveille un passé oublié, quand les Etats-Unis, en pleine guerre du Vietnam, subissait les assauts d’activistes violents et sanglants.
Si Redford, acteur, semble un poil trop vieux pour être un fugitif aussi habile, Redford, réalisateur, n’a rien perdu de sa vigueur : le message est fluide, les débats bien posés, le rythme, sans être haletant, ne souffre pas de creux de vagues, et il sait, contrairement à beaucoup de ses jeunes confrères, rendre crédible n’importe quel personnage. Le casting regroupe un panel impressionnant de vétérans hollywoodiens, pour quelques scènes, survenant parfois en milieu de film. Mais le scénario est suffisamment bien écrit pour les rendre à la fois crédibles et intenses dès les premiers dialogues. Sarandon s’offre un quasi monologue pédagogique. Avec virtuosité et sobriété, elle marque les esprits. Tout comme Christie, invitée vedette du final, resplendissante, impose d’emblée une histoire d’amour (et ses rancoeurs) enfouie par les années, avec Redford.
Cependant, le propos de Redford se situe ailleurs : dans cette incapacité à vivre libre quand on se sent coupable (au mieux, on est fuyard, au pire on s’acquiert une nouvelle identité, avec les mensonges qui vont avec), dans cette impossibilité à être libre dans un pays qui a mis la surveillance des individus (et donc la méfiance vis-à-vis de ses propres citoyens) au cœur de ses priorités. L’individu a peu de chance d’être libre, puisqu’il est contraint, espionné, soumis, enfermé dans des faux-semblants ou des secrets inavouables. Au passage, le réalisateur ne manque pas de pointer du doigt les failles d’organismes gouvernementaux comme le FBI : ainsi l’activiste Sarandon préfère se confier à un jeune journaliste déterminé (Shia LaBeouf ressuscite le métier comme au temps de la splendeur des Hommes du Président) qu’à des agents, qu'elle a nargué durant 40 ans ; ce même journaliste a toujours un temps d’avance sur le FBI pour découvrir la vérité.
Sous surveillance est aussi un hymne à la prescription. 40 ans après, comment juger les faits hors contexte (par des individus qui n’ont pas connu l’époque), comment comprendre des choix ou des décisions ? Toujours humaniste, Redford fait du personnage de LaBeouf un médiateur plus qu’un transmetteur, un élève plus qu’un héritier. Et c’est à l’acteur Redford qu’échoit le rôle d’être le pédagogue. Cela alourdit un peu le film à certains moments et l’entraîne dans une direction moins palpitante que prévue. Au fil de la traque, l’intensité se délite, les messages sont remplacés par une forme de moralisme. Le film sacrifie un beau personnage individualiste et intègre au nom d’une décision plus acceptable par le public, afin de nous conduire vers un happy end.
Regrettable, mais cela n’obstrue pas l’essentiel. La résurrection de ces « morts » tous vivants permet à la star de tirer un bilan, un peu didactique, d’un passé dont on subit encore les conséquences. Cette forme de désenchantement, où la libération de l’un entraîne la condamnation de l’autre, démontre que l’Amérique n’est toujours pas parvenue à panser ses blessures d’il y a 40 ans. Sous surveillance prouve que la justice n’est pas possible dans une société qui a besoin de coupables, sans se remettre elle-même en question.
vincy
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