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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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2 automnes, 3 hivers
France / 2013
25.12.2013
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LE MONDE VIVANT
"Posé sur mes genoux
Dans un sac en plastique
Le bonsaï agonise."
Au départ, on n’en croit pas ses yeux : à l’écran, les personnages s’adressent directement au spectateur en regardant la caméra droit dans l’objectif, puis leurs voix commentent les images qui défilent, et le personnage masculin monologue longuement en alternance avec le personnage féminin, racontant tous deux la manière dont ils se sont rencontrés. Soit tout ce qui est traditionnellement "interdit" au cinéma, réuni parfois en un seul plan.
Rarement, ces dernières années, un film se sera autant joué des codes et bousculé le petit landernau cinématographique si accroché à ses certitudes sur ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. C’est que Sébastien Betbeder a non seulement une conscience aigue des barrières érigées autour de la création cinématographique, mais est surtout bien décidé à les dynamiter pour prouver que tout dispositif se justifie, à condition d’être utilisé à bon escient. Et ici, immanquablement, ses audaces formelles fonctionnent à plein régime, entre autodérision et mélancolie douce amère, discrètement renforcées par la cohabitation d’images numériques avec du 16mm.
Le mélange des genres, c’est apparemment le fil directeur de Deux automnes, trois hivers qui mêle certains ressorts de la comédie traditionnelle (et notamment des répliques ultra incisives et des situations absurdes) à ceux du drame le plus noir. Ce sont ainsi des événements tragiques (une agression, un grave problème de santé) qui permettent aux personnages de se rencontrer. On assiste alors à l'un de ces glissements chers à Sébastien Betbeder : d'une situation anodine découle la tragédie, de la tragédie découle le romanesque, du romanesque découle la vie dans ce qu'elle a de plus quotidienne. Comme si le réalisateur s'amusait à réinventer la comédie romantique pour comprendre ce qui arrive au Prince et à la princesse après plusieurs mois de vie commune.
Le choix d'une narration singulière où les principaux personnages donnent leur avis sur ce qui leur arrive, ou livrent directement leurs pensées les plus intimes, annihile la frontière invisible traditionnelle entre personnages et spectateurs. Il ne s'agit pas tant d'identification que du sentiment de prendre part au récit, en prêtant une oreille attentive à Arman ou Amélie comme on écouterait des amis nous raconter leurs mésaventures. Le portrait générationnel que dresse le film devient alors d'une certaine manière participatif, pour ne pas dire interactif.
D’autant que Sébastien Betbeder y insuffle beaucoup de références et de détails qui peuvent être autant de pistes à suivre, voire de prismes de lecture pour le spectateur. Il est par exemple question du cinéaste Eugène Green et de son projet de capter la présence réelle des êtres. En filigrane, on sent que le cinéaste adhère à cette quête, et y apporte sa contribution sensible. Le film devient alors comme un journal intime doublé d’une réflexion sur le cinéma. Par le biais du dispositif formel au cœur du film, de l’impact qu’il a sur le récit, et de la manière dont il est reçu, une mise en abyme se crée entre le point de vue des personnages, du réalisateur et du spectateur sur l'art en général et sur le cinéma en particulier. Dans le fourmillement d'idées qu'est 2 automnes, 3 hivers, l'amour du cinéma semble alors à la fois le moteur principal et le sujet premier du récit.
Mais la littérature n’est jamais loin elle non plus. En raison de sa construction, et de l’importance donnée au texte, le film a parfois des accents littéraires saisissants. Comme si Deux automnes, trois hivers était la transcription en plans et en séquences d’un objet hybride, écrit sous une forme littéraire, mais pensé en images.
Cela participe au fort impact émotionnel du film, qui semble jouer sa partition complexe sur différents niveaux: celui du récit, ludique et romanesque, celui du dispositif formel, qui intrigue et interpelle, et celui de la narration, où la parole presque omniprésente apporte un aspect introspectif qui lui permet de gagner en profondeur. D’où la sensation d’un objet cinématographique complet, aussi captivant dans sa démarche qu’ authentique dans sa captation de l’époque, ce qui semble la plus belle réussite pour un cinéaste chez qui l’expérimentation n’est jamais déconnectée du propos, mais au contraire au service de l’histoire qu’il cherche à raconter.
MpM
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