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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Oh boy
Allemagne / 2012
05.06.2013
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LA VIE DES AUTRES
"Il attendait le rôle de sa vie dans un bar."
C’est l’histoire d’un garçon qui ne demande qu’à boire un bon café. Tout au long d’une interminable journée émaillée de rencontres étonnantes, désagréables ou tout simplement cocasses, il va d’échec en échec, pour cause de machines cassées, de prix exorbitant et même de diktat paternel. En parallèle, ce trentenaire mutique et lunaire (prénommé Niko) traîne sa dégaine désenchantée dans un Berlin ultra stylisé assez éloigné de la vision carte postale qu’on peut en avoir.
Chaque rencontre (avec une ancienne camarade de classe, un acteur de cinéma idéaliste, son père insupportable…) forme en creux le portrait du personnage. Mais hormis sa mélancolie latente et son incapacité (voire son absence de désir) à prendre sa vie en mains, lui-même ne révèle pas grand-chose de ses pensées ou de sa personnalité. Au contraire, il écoute et observe plus qu’il n’agit et s’exprime. C’est sans doute pourquoi tous ceux qu’ils croisent se livrent à lui, comme aimantés. Cela donne plusieurs séquences très justes, souvent sur le fil entre émotion et ironie : la grand-mère d’un dealer qui lui fait essayer son fauteuil high tech, un voisin qui lui raconte la maladie de sa femme, un inconnu qui se remémore ses souvenirs d’enfance durant la seconde guerre mondiale…
Le traumatisme du nazisme traverse en effet le film comme un spectre qui hante les jeunes Allemands génération après génération. Jan Ole Gerster aborde la question avec humour, notamment quand il filme le tournage d’un énième film manichéen sur le sujet, mais aussi avec gravité, lorsqu’un homme assis au bar se met à raconter comment il a participé à la nuit de cristal [violent pogrom à l’encontre de la communauté juive de novembre 1938]. Là encore, le personnage principal sert de réceptacle anonyme à une parole brûlante et douloureuse, comme l’élément indispensable à une nécessaire transmission. Il est le témoin muet qui arpente Berlin pour observer la nature humaine.
Peut-être est-on influencé par la ville de Berlin et le noir et blanc classieux utilisé par le cinéaste, mais ce jeune homme solitaire et indéchiffrable évoque l’ange humaniste plein d’empathie et de bonté du magnifique film de Wim Wenders, Les ailes du désir. Les deux personnages ont en commun cette manière de porter sur le monde un regard perçant, capable de voir vraiment, et de percevoir les torrents émotionnels qui agitent leurs contemporains.
Mais tout cela reste dans le sous-texte, sans lourdeur ni démonstration. Au contraire, au-delà du spleen rêveur du personnage central, il règne dans le film un climat léger et cocasse, onirique et fantasque. La courte profondeur de champ donne l’impression que Niko évolue dans un univers presque indéfini, baigné dans un halo flou qui le place systématiquement au cœur du plan. La technique, propre aux portraitistes qui veulent isoler leur sujet du reste du monde, renforce l’esthétisme du film et son atmosphère à la fois intime et universelle. Tout en nuances et sans angélisme, Jan Ole Gerster semble ainsi capter la réalité de l’époque et livre un grand film générationnel, romantique et réjouissant.
MpM
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