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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Blackbird
Canada / 2012
12.06.2013
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FAUX COUPABLE
« Le plus important c’est les apparences »
Entre fantasmagorie réaliste et drame sans issue, Blackbird s’envole rapidement vers un territoire cinématographique assez singulier, à l’image de son personnage central, formidablement incarné par Connor Jessup.
Le cinéaste Jason Buxton croise ainsi des lois dignes de Minority Report (où l’on incarcère avant même de commettre un crime), une communauté qui rappelle celle de La chasse (plus prompte à suspecter « l’autre » qu’à connaître la vérité) et les marginaux (aux cheveux noirs comme les plumes d’un corbeau) des films de Tim Burton (les mains d’argent sont remplacées par des blousons cloutés et quelques piercings).
Ainsi un gamin incapable de tuer un chevreuil - acte initiatique pour devenir un homme ? – se retrouve sur les bancs des accusés parce qu’il a de sombres pensées, des armes lourdes à domicile et qu’il est rejeté par ses camarades. Le voici suspect de massacrer des lycéens : syndrome « Bowling for Columbine » ou « Elephant ». La vérité a peu d’importance : personne ne se remettra en question. Il est le coupable idéal. Jeune et innocent. Mais différent. Gothique, pacifique, romantique, préférant lire que jouer avec une console. Il est pourtant une menace à l’équilibre factice de cette société.
Buxton va alors mettre en parallèle deux mondes : le lycée et la prison. Dans ces deux univers, le jeune homme n’est pas à sa place, il est le putching-ball, le défouloir de jeunes gens frustrés, névrosés, arrogants. Blackbird est d’abord le portrait d’une jeunesse violente, intolérante et formatée par ses schémas. Il faut avoir l’air avant d’être. A travers différents prismes, le film offre plusieurs points de vue et démontre que la sincérité n’a aucune valeur dans un monde où l’apparence dicte les conduites et les rapports humains. Tout est artificiel et opaque : la « princesse du film », interprétée avec justesse par Alexia Fast, piégée par son éducation et prête à péter les plombs, résume le propos. Entre ce qu’elle montre et ce qu’elle pense, il y a une forme de schizophrénie inquiétante…
Le film, qui ne manque pas de suspens, accentue cette tension psychologique avec une caméra à l’épaule qui rappellerait presque les films des Dardenne. L’ambiance est hostile, grisâtre et sans glamour. On est presque immergés dans la tête du tueur (qui n’a jamais rien tué). C’est particulièrement saisissant quand le cinéaste renvoie en écho la scène des wc en prison (où son « héros » frôle la mort et en sort traumatisé) et celle des wc dans le centre commercial (où il craint de revivre la même séquence). De la même manière, la visite de la mère est contrebalancée par celle de la fiancée.
Au passage, Buxton démontre les aberrations du système judiciaire et carcéral pour les mineurs. Machines à broyer les individus plutôt qu’à les réinsérer. L’aliénation n’est pas loin. En insistant un peu trop sur cette folie et sur la solitude de ses personnages, le film dévie un peu et se ramollit sur la fin. Maladresses pardonnables.
Car le réalisateur veut nous emmener ailleurs à travers cette descente aux enfers : le rapprochement du père (responsable) et du fils, le divorce entre la mère (égoïste) et le fils, une forme de rédemption par les sentiments, sans sentimentalisme. Une foi dans le lien amical, dans la solidarité entre ceux qui restent intègres, qui ne trichent pas avec ce qu’ils sont. Blackbird est un film sur la mue d’un adolescent qui passe de corbeau à pigeon et qui va devenir simple canari en cage. La société l’a « tuer ». Mais il conserve une dignité de bout en bout. Brillamment, naturellement, sans le montrer, Buxton nous a fait juger ceux qui jugeaient ce faux coupable. C’est dans cette manipulation de notre regard sur « l’autre » que le cinéaste réussit un joli tour de force. Ainsi le canari peut rêver d’être un jour un aigle… noir. vincy
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