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LE CHEMIN DE LA LIBERTÉ
«- L’or compensera tout ça. »
Il faut d’abord apprécier la majesté des paysages du grand Nord-Ouest canadien. Sauvage, hostile, somptueuse, infinie, cette nature épargnée par la civilisation déploie sa grandeur et rétrécit les humains. Thomas Arslan la filme comme Anthony Mann ou John Ford devaient le faire : envahissant l’écran, réduisant l’humain et ses combats à une guérilla de fourmis. Le paysage n’est pas qu’un simple décor, il est une machine à broyer les destins. Il fait le tri sélectif.
Le scénario de Gold opère comme dans un jeu : ils sont un groupe, au départ, et un à un, façon dix petits nègres, ils vont abandonner, disparaître comme s’il s’agissait d’un Yukon Express, cruel et impitoyable. Aux confins du Klondike, en quête de cette pépite d’or qui fait tourner les têtes, Gold, comme le titre du roman de Blaise Cendrars, sera un mirage : celui d’une autre vie, celui de pouvoir changer sa vie. C’est un appel à la liberté. Loin de chez soi (ici l’Allemagne), tout aussi loin des conventions d’une société qui empêche de vivre comme on le veut.
Et quel plus beau symbole qu’une femme comme « héros ». La figure du cow-boy solitaire qui s’éloigne à l’horizon, pas forcément au soleil couchant, est ici transformée par l’idée géniale de l’auteur : il s’agira d’une cow-girl. Une femme indépendante avant l’heure, de celles qui s’affranchissent sans y mettre le mot féminisme. Malicieuse et secrète, déterminée et belle, cette Emily Meyer respire ce désir de liberté. D’emblée, elle est différente des autres, se distinguant par de petits détails qui font d’elle le cœur d’un groupe hétéroclite. Elle est formidablement interprétée par Nina Hoss, impeccable dans chacune de ses nuances. Elle défend son rôle avec la même obstination que son personnage ne se laisse pas démonter par les aléas de l’aventure. Tour à tour intelligente et émouvante, compassionnelle et dure, autonome et solidaire, elle apporte une humanité précieuse dans ce territoire où l’individu a peu de chance de survivre. D
Gold est aussi le récit d’une migration : celle qui pousse des gens à quitter leur pays, leurs habitudes, pour être plus riche. Ironiquement, le cinéaste rappelle que les Allemands, qui aujourd’hui préfèrent fermer leurs frontières à certains migrants, ont été aussi un peuple d’émigrés au XIXe siècle. Qu’ils payaient aussi des passeurs, qu’ils risquaient également leurs vies. Pour trouver quoi au final ? La mort, l’amour, l’or ?
Car le voyage est périlleux. Entre les mesquineries, jalousies, rivalités d’un collectif et la misère, les menaces diverses, les malheurs de chacun, l’épopée est ponctuée d’incidents, classiques, et d’anecdotes, souvent déjà vues. Arslan se sort de ces mauvais pièges de ce western-Road Movie par une mise en scène sobre, une image dépaysante et surtout un rythme cohérent avec cette longue traversée. Certains trouveront le temps long quand d'autres s'immergeront avec délectation.
Il sait aussi donner du relief à ces personnages. Insupportables ou sympathiques, vaniteux ou pitoyables, il les oblige, comme dans Delivrance, à aller jusqu’au bout d’eux-mêmes. Quitte à sombrer dans la folie. Il peut alterner la dérision (« C’est quand même pas de chance de se prendre les pieds dans un piège à ours dans un endroit aussi vaste ») et l’horreur (une amputation effroyable, sans anesthésie) en une seule séquence. Et quand l'écriture se relâche, il peut compter sur son actrice, qui aura toujours le geste subtil, le regard qu'il faut pour nous faire patienter.
Mais c’est avec son final, dans la grande veine du Western américain, qu’il épate, en rappelant que l’homme est aussi terrible que la nature. Malgré la foi, l’abattement, le courage, la solidité physique et psychologique, les survivants seront rattrapés par leur passé. Le drame se noircit un peu plus. Mais comme son héroïne qui file vers l'inconnu de manière insensée, le film s’emplit de lumière. L’or n’est peut-être pas une pierre, mais juste un sentiment : celui d’être en vie.
vincy
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