Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



Ailleurs
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary
Effacer l'historique
Ema
Enorme
La daronne
Lux Æterna
Peninsula
Petit pays
Rocks
Tenet
Un pays qui se tient sage



J'ai perdu mon corps
Les misérables
The Irishman
Marriage Story
Les filles du Docteur March
L'extraordinaire voyage de Marona
1917
Jojo Rabbit
L'odyssée de Choum
La dernière vie de Simon
Notre-Dame du Nil
Uncut Gems
Un divan à Tunis
Le cas Richard Jewell
Dark Waters
La communion



Les deux papes
Les siffleurs
Les enfants du temps
Je ne rêve que de vous
La Llorana
Scandale
Bad Boys For Life
Cuban Network
La Voie de la justice
Les traducteurs
Revenir
Un jour si blanc
Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn
La fille au bracelet
Jinpa, un conte tibétain
L'appel de la forêt
Lettre à Franco
Wet Season
Judy
Lara Jenkins
En avant
De Gaulle






 (c) Ecran Noir 96 - 24


  



Donnez votre avis...


Nombre de votes : 18

 
La Baie des Anges


France / 1963

01.03.1963 ; 31.07.2013 (ressortie)
 



LES ANGES DÉCHUS





La Baie des Anges a longtemps souffert d’être coincé entre le magnifique Lola et l’époustouflante Palme d’or Les parapluies de Cherbourg dans la filmographie de Jacques Demy. Irréel, presque factice, le film, sublimé par son noir et blanc, les lumières du casino et le soleil de la Riviera, semblait à la fois une suite moins inspirée que Lola et un brouillon maîtrisé aux Parapluies.

Le film est aussi étrange qu’étonnant. Les personnages presque immatures, le récit se complaisant dans sa vacuité, tout contribue à ne voir qu’une œuvre superficielle. Or cette superficialité n’est pas artificielle : elle est le sens même de l’œuvre. La Baie des anges est un drame sur l’ennui autant que sur la passion pour le combler. Dans ce marivaudage, le jeu et le hasard des casinos (lieux où le temps et l’argent ne comptent pas) épousent ceux des sentiments. Sur qui mise-t-on ? Et quel sera le gain, ou la perte ?
Cette métaphore pousse ainsi le joueur, qui avance toujours masqué, à se découvrir quand il s’agit de ne plus bluffer, quand il s’agit de révéler ses désirs. La passion étant absolue - jusqu’à tout pouvoir perdre -, c’est elle qui donne le tempo. Tout l’enjeu est de savoir quelle passion sera la plus forte.

La Baie des anges est typiquement un film de Demy : mélancolique, presque triste, désenchanté aussi. Mais là aussi, comme dans ses autres créations, il faut toujours croire à l’amour. Demy a essayé, à cette époque, de réaliser une œuvre aussi vertigineuse qu’épurée. Sa mise en scène est solide, peut-être trop ambitieuse, et elle n’empêche jamais d’inventer de nouveaux angles. Les acteurs sont filmés en gros plans, tels des pantins déshumanisés par leur vice, désemparés dès qu’ils doivent dialoguer.

Il pouvait se le permettre. Avec son instinct légendaire, il a choisi une actrice charismatique, pseudo-star hollywoodienne, pour ne pas dire Marilyn de synthèse, Jeanne Moreau. Belle de jour comme de nuit, blonde fantasmagorique, jeune femme qui nous exalte tous les sens, elle a même le prénom d’une icône des sixties, Jackie, modèle d’élégance, Reine éternelle, miroir aux alouettes. Elle est métamorphosée, de la diction aux cheveux platine. Lola en vrille. Virevoltante, lumineuse, elle est un tourbillon de vie qui contraste avec l’ambiance morbide et les croque-morts qui l’entourent. C’est en elle qu’il faut croire, au fin fond de ces ténèbres. Car nous sommes bien proche du Styx : d'ailleurs, Caron porte presque le nom du passeur des Enfers (Charon). C’est lui qui initie un pauvre employé de banque au jeu du malheur. La chute n’en sera que terrible, sauf si l’amour l’emporte.

Des anges peuvent-ils se consumer ?

Ici le hasard est maléfique. Ici, rien ne va plus si l’on décide de remettre son destin entre les mains d’un père, d’un croupier, d’un ami. Là encore Demy reste fidèle à ses valeurs : le risque vaut la peine d’être pris, et même vécu. Se sortir de la fatalité. Prendre le large. Fuir à toute vitesse l’ennui qu’on nous impose par des conventions sociétales mais aussi les lieux de perdition pour ne pas finir marginal. Demy chorégraphie ainsi ce drame dans des espaces inhabitables (hôtel, casino), dans une géographie infinie et sinueuse, préférant les poursuites et les traques à l’immobilisme. Il pose les fondamentaux de son cinéma. Paradoxalement, dans son cinéma, rien n’est laissé au hasard : il s'agit bien du seul hasard qui possède, à ses yeux, des vertus…
La délicatesse et l’intelligence de cette tragédie feraient presque oublier que La baie des anges est un film complexe, comme un air de jazz endiablé, dont ont ne repère pas tous les accords à la première écoute. Parce que, sans doute, nous étions distraits, hypnotisés par Jeanne Moreau, transportée par son amour du jeu, parfaite mécanique n'autorisant aucun grain de sable. La bille a beau s'affoler sur la roulette, elle tombe toujours dans la case qu'il faut. Jeanne apparaît alors comme une femme fatale qui fait succomber son petit banquier, son réalisateur et les spectateurs en un sourire. L'Ange c'est elle.
 
vincy

 
 
 
 

haut