Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Leviathan


France / 2012

28.08.2013
 



20 000 LIEUES SOUS LES MERS





Il y a des expériences, aussi intenses et déroutantes qu’elles soient, qu’il faut vivre sans se poser de questions, et Leviathan, poème cinématographique radical et abrupt, en fait incontestablement partie. Le titre, qui évoque tout à la fois chaos primitif, destruction du monde et aller simple pour les enfers, laisse bien présager ce que sera l’aventure : une plongée sans fard dans le quotidien d’un chalutier de pêche, devenue sur l’écran la contemplation hallucinée d’un combat tragique entre l’homme et la nature.

Très vite, on perd tout repère : Où est le ciel ? Où est la mer ? La question est récurrente, devant chaque nouvelle séquence : que regarde-t-on ? L’obscurité, de soudaines tâches de lumière, des frétillements, du roulis, une tête de poisson décapité, des flots de sang, des ombres, le bouillonnement de l’écume… Des signaux captés miraculeusement par le dispositif de caméras légères utilisé par Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor. Des signaux que le cerveau, peu à peu, traduit en mots. Cela donne : la mer, parfois déchaînée. Les mouettes, vues depuis la crête des vagues. Les fonds marins où sont rejetés des tonnes de "déchets" (comprendre : des animaux pêchés par erreur, ou les carcasses de ceux qui ont une valeur marchande). Le pont balayé par les vagues. Le filet terrifiant, monstre marin tout puissant, qui déverse ses proies. Les hommes qui tailladent, découpent, tranchent, dans une répétition abrutissante. Des tâches barbares juxtaposées avec une poésie sensitive et sensible surprenante.

Tout serait vain si ces images ne finissaient par s’imprimer durablement sur la rétine, et impacter celui qui les reçoit. Il y a la démarche artistique, bien sûr. Exigeante, selon l’expression consacrée. Aride. Parfois ennuyeuse, il ne faut pas avoir peur de le dire. Mais intacte, sincère, intense, violente et tout sauf gratuite. Il y a aussi l’horreur d’un carnage exposé froidement, mécaniquement. Une dénonciation implicite d’une surpêche qui a plus à faire avec la folie meurtrière qu’avec la recherche naturelle de nourriture.

Mais cela aussi est en deçà de ce qui se joue réellement sous nos yeux hallucinés. Cette lutte incessante entre les hommes, la nature et les éléments finit par totalement brouiller les frontières du mal et du bien, du beau et du laid, tout comme elle brouille les frontières artistiques entre documentaire, expérimentation, reportage et fiction fantastique née sur le banc de montage. Car Leviathan se démarque violemment d’un cinéma normatif facilement "étiquetable" (et donc confortable pour le spectateur). Il s’impose au contraire comme une œuvre sensorielle et impressionniste, presque insaisissable, qui exerce sur le spectateur une fascination durable. Au-delà de tout concept, de toute parole (le film est dénué de commentaires ou de dialogues), il laisse dans son sillage une multitude de sensations que chacun perçoit intimement, parfois aux niveaux les plus enfouis de sa conscience.
 
MpM

 
 
 
 

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