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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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La vie domestique
France / 2013
02.10.2013
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24 HEURES DANS LA VIE DE DESPERATE HOUSEWIVES
« Pas la peine d’avoir fait une thèse de littérature contemporaine si c’est pour parler comme dans Marie-Claire.»
Prenez 4 femmes résidant dans une banlieue quelconque mais cossue d’une grande métropole. De la soirée de la veille à celle du lendemain. Et observez-les au microscope. 4 itinéraires de femmes a priori gâtées : consumérisme, famille, bonheur (factice). Nos vies heureuses ?
La vie domestique c’est à la fois la vie à la maison – cuisine, ménage, mondanités, routine – et la vie piégée par ce quotidien aliénant. Car derrière ces visages maquillés, tout est prêt à craqueler. Tout est au bord de la rupture. Les fractures sont mêmes visibles : entre les hommes et les femmes, les rêves et le réel, les riches et les pauvres. Le malaise est palpable. Le mépris à peine masqué. Les préjugés sont des dogmes énoncés avec certitude. C’est le Carnage (Polanski).
Ces femmes sont au bord de l’épuisement, ne profitent plus de l’instant présent. Lasses, névrosées, angoissées, la crise de nerfs à proximité. Par petites touches, cette inquiétude sourde habille tout le film. Les petites contrariétés crissent les visages radieux en façade. L’insatisfaction visible envahit l’atmosphère. Entre deux eaux, elles cherchent un équilibre, vainement. Retrouver leur job pré-accouchement et laisser sa maison en bordel, prête à tuer un gamin pour avoir saccagé un sofa neuf (Julie Ferrier, excellente), sans aucune autorité sur les enfants parce que dépassée par les événements, … Les maisons, clonages de magazines de décoration, enferment leurs frustrations, leurs amertumes, leurs tensions.
Film avant tout féministe, quoique la cinéaste s’en défende, La vie domestique montre à quel point l’égalité des sexes n’est pas encore achevée. Les maris ont toujours de bonnes excuses pour être absents et se croire plus importants. Malgré leurs fichus caractères, pas forcément sympathiques, notre quatuor féminin inspirent toutes la compassion. A la limite de la satire (les capsules Nespresso, choix crucial pour bien recevoir ses voisines), le récit est aussi une violente critique sociale : l’indifférence en passant devant les bidonvilles, le diktat de la jeunesse chez les marchands de cosmétique, l’ennui qu’il faut combler par du « shopping » …
Une femme essaie de s’en sortir, comprend que sa vie doit être ailleurs : le personnage d’Emmanuelle Devos (disons-le tout net, formidable de subtilité). Dans tous ses plans, elle insuffle sa singularité et sa normalité, ses doutes et son esprit rebelle. C’est par elle que notre regard peut supporter le reste. Au sein de son monde déshumanisé (on pleure davantage pour un sofa détruit que pour sa grand mère morte), elle tente encore d’y apporter un peu de culture et de vigilance. Elle sait que le temps est compté : l’horloge le lui rappelle constamment, le planning est surchargé facilement, et sa mère lui explique en trois étapes comment la vie nous échappe en quarante ans. L’humour est délicieusement noir. C’est même un peu cynique. Un régal. Malgré ses allures, le film n’est pas banal, le style pas si français, le regard est très incisif. Ingrats, incultes, mufles, lobotomisés… les gens sont normaux, amoureux, mais s’autosuffisent dans leur misère intellectuelle, dans leur absence d’élévation. La seule utopie évoquée est celle d’un monde sans heurts : sans marginaux, sans crimes, avec une série d’activités oisives compatibles avec l’agenda.
Voilà la France d’aujourd’hui, la périurbaine. La conformiste. Celle où les pensées sont vides de raisonnements mais riches en arrières pensées. Pas forcément politiquement correctes d'ailleurs. Les dîners entre « amis » sont des réunions de copropriétaires, enfermés dans leur ghetto sécurisé, au gazon bien tondu. La poésie et la littérature semblent incongrues. L’amour est le seul sentiment qui a le droit d’être exprimé.
Mais au final, sans préjugés, après avoir jouit d’un film comme Jaoui et Bacri ne savent plus les écrire, on espère que notre héroïne, un peu fâchée, et son époux, un peu largué, comprendront qu’il faut quitter cet enfer. Avant qu’il ne soit trop tard et que cette vie ne les tienne en laisse. Comme des animaux domestiques.
vincy
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