Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Quai d'Orsay


France / 2013

06.11.2013
 



STABILO BOSS





« - Rouge et noir, bof, ça fait Jeanne Mas.
- C’est qui Jeanne Mas ?
- Ça fait années 80 quoi, François Mitterrand.
»

Casse-gueule l’adaptation d’une BD, d’autant plus lorsqu’il s’agit avant tout d’une satire politique fondée sur des faits réels, avec des personnages reconnaissables. Quai d’Orsay n’est autre que la traduction vécue du Ministère des affaires étrangères sous le règne du bouillonnant et flamboyant Dominique de Villepin.

Bertrand Tavernier, plus apte au classicisme ces dernières années, a retrouvé ici un sujet lui permettant de revenir à un cinéma plus moderne, plus réaliste, et plus social, pour ne pas dire sociétale. Étrangement, son film se distingue de son œuvre par son allure légère, ce ton de comédie (humaine), parfois burlesque, en usant d’un rythme qui est justement en adéquation avec celui d’une bande dessinée. Ainsi le ministre arrive toujours pas surprise dans les pièces (véritable bourrasques qui envolent toute la paperasse, joli gag à répétitions) ou dans le plan (c’est quasiment du dessin animé). Et il y a aussi des comiques de situation : quand le personnage de Personnaz obtient sa mission – le langage – après avoir passé un entretien où, paradoxalement, il n’a pas pu placer un mot.

A ces trouvailles scéniques, s’ajoutent une vision plus ironique, tantôt cruelle tantôt attachante, de la haute administration française et de ses absurdes processus de décisions, ses guerres d’égo et petites mesquineries, et son laborieux travail à faire exister le pays à l’échelle mondiale. Le cinéaste engagé renoue ici avec ses meilleurs films, avec un propos contemporain et assez intemporel. Mais son regard est bienveillant, loin de l’aspect clinique de L627 ou critique de Ça commence aujourd’hui.

Finalement l’idée la plus risquée de l’adaptation de ce best-seller du 9e art était sans aucun doute le choix des comédiens. L’ensemble du cabinet - du débonnaire Niel Arestrup excellent dircab d’un autre temps (celui des solutions secrètes et des réseaux à l’ancienne) à Julie Gayet (parfaite perverse allumeuse), en passant par le grivois Thierry Frémont - est ingénieusement composé. Chaque personnage est un caractère. Raphaël Personnaz en fade candide au milieu de cet univers de costumes sombres et de chaussures cirées, avec sa gueule à la Delon (bonne période) et un véritable don pour être le faible du service, celui à qui tout le pouvoir échappe, dans un monde complètement irrationnel et dépourvu de respect humain. Il est le scribe, l’érudit, le maître du langage au milieu d’ignorants et d’ambitieux. Et puis il y a Thierry Lhermitte. Peut-être moins charismatique qu’un De Villepin (moins grand, moins large d’épaule), mais tout aussi séducteur et « politiquement » d’allure neutre, Lhermitte n’est assurément pas, physiquement, le personnage. Mais il lui donne un relief différent, plus girouette, plus narcissique (si c’était possible), tout aussi vaniteux (le repas avec la Nobel de littérature incarné par Jane Birkin est un sommet), parfaitement insaisissable. Il donne une gravité presque ridicule (dans le sens aristocratique prétentieux) là où de Villepin était lyrique à l’excès (« Il ne faut pas avoir peur de la flamme. Il faut aller vers la flamme. Je deviens la flamme ».) Tavernier en fait un ministre influençable, angoissé, indécis, presque incompétent, une de ses stars de télé réalité qu’on zappera à la prochaine saison, ou au prochain remaniement. Un loup de Tex Avery, surexcité, et souvent hilarant. Mais un loup qui sait que les mots valent plus que les crocs. Un loup obsédé par un seul dogme (pour le reste, il est prêt à tous les compromis ou toutes les contradictions) . C’est d’ailleurs cette constance qui lui fournit son panache et fait oublier ses multiples revirements sur les autres sujets. Tavernier veut y voir un symbole de la France dans ce qu’elle a de grand.

Dans ces Palais de la République, immuables, les gens s’agitent, se pressent. Le poids des lustres les menace comme le ciel peut tomber sur leurs têtes. Le bateau France coule. L’équilibre mondial est rompu. La guerre d’Irak se profile, la seconde. Sans le savoir, le réalisateur a beau faire un film qui se déroule au début des années 2000, il fait cruellement écho à l’action préventive prévue en Syrie cette année-même. Rien ne change alors que tout est bousculé. Quai d’Orsay s’avère avant tout un portrait désenchanté du monde politique. Des pantins servent de ministres dans un pouvoir illusoire. « Tu vas leur trouver plein de choses à dire, comme ça ils n’auront plus rien à faire ». On cite Héraclite à tout va, mais il n’y a plus qu’un homme, le dircab, pour se sortir d’une sale prise d’otages en temps réel.

De la BD à l’écran, il reste finalement l’élément fondamental commun : les mots, qui traduisent, précèdent ou aboutissent la pensée, elle-même illustrée à travers une énergie renouvelable à l’infini. Dommage d’ailleurs qu’on ne comprenne pas vraiment comment ce fameux discours à l’ONU fut finalement abouti après tant de versions… Dans ce labyrinthe infernal qu’est le Ministère, avec un organigramme incompréhensible, des privilèges acquis et des dépenses inutiles transmises de gouvernement en gouvernement, le film semble vouloir adresser un message aux élites mais n’oublie pas de faire preuve de pédagogie en expliquant les arcanes du pouvoir au spectateur. Le regard naïf et ébahi de Personnaz aide à nous identifier – et c’est d’ailleurs pour cela qu’il est regrettable de le perdre un peu en cours de chemin pendant quelques séquences. Tour à tour, perdu, grisé, blasé, usé, abusé, ion comprend vite qu’il faut appartenir à une certaine espèce, parfois hypocrite, parfois vacharde, parfois fielleuse, pour rester vivant dans cette jungle. C’est avec ces fixettes, ces arrière-pensées, que les seconds rôles offrent leurs moments les plus drôles. C’est dans le cadre de ce simulacre de démocratie que le film se révèle intelligent (bravo au chef déco au passage). C’est aussi dans les détails répétitifs souvent logistiques (le stabilo boss, donc, guest-star involontaire) que le scénario se détache du papier, figé. Tavernier utilise son savoir-faire pour créer une atmosphère frénétique et électrique pour hacher une séquences par de multiples plans qui forment une scène cocaïnée. « Tchack ! Tchack », « Tacatacatak ! », et autres « Vlan ! » ponctuent le film comme ces onomatopées envahissent bruyamment les cases d’une BD.

Rarement bande dessinée n’a été aussi bien adaptée, car rarement un film n’a été aussi fidèle aux qualités propres du 9e art. Jusqu’à l’apogée du discours de l’ONU, Tavernier ne se soucie pas seulement de garder le rythme – celui du film, mais aussi celui du ministre, qui jogge plus vite que son ombre. Il cherche à montrer que ce monde est pris de vitesse, en panique, et que la nécessité de trouver un équilibre entre les mots et l’action, entre l’histoire et le présent, est un combat quotidien qui rend fou. Il y a du Molière dans tout cela. Un goût pour se moquer des puissants, tout en les flattant. Pour notre plus grand plaisir, tant ce cirque est divertissant.
 
vincy

 
 
 
 

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