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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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The major
Russie / 2013
06.11.2013
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LES CORRUPTIBLES
"Tu changeras pas le monde."
Thriller froid et oppressant, The major fait le portrait terrifiant d’un pays malade de sa corruption. A la manière d’une grande tragédie russe traditionnelle, il met en scène des hommes ordinaires que leur fonction de policier transforme en cow-boys au-dessus des lois, mais aussi en larbins du pouvoir. Car à peine passée la séquence d’exposition nerveuse et hyper réaliste, les enjeux échappent aux personnages, et ce qui n’était qu’un drame intime confrontant une famille endeuillée et le meurtrier de leur fils devient une affaire politique. Cette situation de départ illustre l’impuissance des individus qui sont tous soumis à des forces qui les dépassent : la famille victime d’injustice, le coupable pris dans un cercle vicieux qu’il refuse, son collègue et ami pris dans une surenchère d’horreurs et de violence. Mais elle donne surtout lieu à un récit haletant et désespéré qui explore les tréfonds de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus abject et de plus humain à la fois.
Car si Sobolev, le personnage central, déclenche malgré lui une série d’événements sur lesquels il n’a plus aucune prise, il va tenter durant tout le film de reprendre le contrôle de la situation, exigeant la possibilité d’assumer seul la conséquence de ses actes. Or ce rôle de redresseur de torts qu’il s’arroge ne lui est jamais pleinement accordé. L’étincelle d’humanité qui l’anime lorsqu’il décide de placer la justice au-dessus de son propre salut est étouffée dans l’œuf par l’inhumanité ambiante. Lui, pas plus qu’un autre, n’a les moyens de réparer les fautes commises. Il ne peut pas se conduire en homme juste ou s’ériger en donneur de leçons parce qu’il n’est pas meilleur que les autres.
C’est là une des grandes forces de The major que de surprendre en permanence le spectateur avec des revirements inattendus. Il montre ainsi que personne n’a le pouvoir de changer profondément la donne, puisque tout le monde serait prêt à agir comme Sobolev (mentir, tricher ou tuer un innocent) pour sauver sa peau ou celle de ceux qu’il aime. Le constat est d’un pessimisme et d’une noirceur absolue, qui rendent caduque toute tentative d’héroïsme mais aussi de jugement moral. Ici, pas de bons sentiments faciles : le monde ne se divise pas en salauds et en victimes, mais se compose d’individus qui se retrouvent dans l’un ou l’autre camp, en fonction des aléas de la vie.
Dans cette cour des miracles qu’est le commissariat de police, personne ne vaut mieux que les autres, bandits et policiers confondus. De la même manière, aucun mécanisme divin ne vient au secours des innocents : pas de deus ex machina (symbolisé par l’IGS), pas de redressement de la société (les choses vont continuer telles quelles), pas de rédemption (aucune possibilité pour le héros de se racheter). L’homme est seul avec lui-même, et avec une conscience qui ne fait pas le poids face à la réalité du monde. Le pessimisme, et le cynisme, du réalisateur Yury Bykov vont presque trop loin, mais il a le mérite de décortiquer avec une certaine finesse les contradictions de l’être humain, qui se rêve héros et agit en salaud ordinaire dès lors qu’il s’agit de sa propre survie. Son écriture, sur le fil, permet au spectateur de s’identifier tour à tour avec les différents personnages et d’expérimenter leurs émotions et leurs dilemmes. Il réunit ainsi la brutalité d’un cinéma militant qui refuse toute complaisance avec des choix audacieux de mise en scène qui remettent la dimension artistique au cœur du film.
MpM
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