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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Capitaine Phillips (Captain Phillips)
USA / 2013
20.11.2013
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Ô SABORDAGE
Paul Greengrass a-t-il vraiment digéré l’échec public de Green Zone ? À en croire la direction prise par son dernier film, non. Un cap a même été franchi. Comme pour enfoncer le clou d’une doctrine de mise en représentation qui, il faut bien l’avouer, ne fonctionne pas, mais alors pas du tout, lorsqu'elle singe à ce point le principe de réalité. Ainsi, la forme précède le fond, comme s’il n’était plus acceptable de prendre à bras-le-corps une donnée géopolitique tangible (la piraterie des mers) pour en faire autre chose qu’une course contre la montre aussi anodine qu’un vulgaire blockbuster estival.
Capitaine Phillips n’a peur de rien et surtout pas de sa démonstration graduée allant crescendo. Il s’agit, tout abord, d’aborder un fait divers de plus en plus courant où des pirates de la Corne africaine (Somalie dans le cas présent) s’en prennent à des navires de marchandises s’aventurant trop près des côtes. Rapidement – trop ? –, le film se mue en un double thriller plus ou moins habile suite à l’évolution de la prise du bateau. Enfin, il termine sa folle embardée émotionnelle dans le drame humain le plus absolu avec dénouement tragique. Le réalisateur ne change pas sa façon d’aborder les faits. Elle sera abrupte, sèche, réaliste, presque crue. Il filme l’événement en marche de manière frontale, de l’attaque des pirates somaliens à la résistance farouche d’un capitaine inflexible. Si l’opposition prend corps dès les premiers plans, elle s’efface inexplicablement au profit d’une mécanique de mise en scène trop fonctionnelle dans son approche pour marquer les esprits au-delà de l’épreuve endurée.
Paul Greengrass surligne alors l’immersion d’une situation délicate par un étirement narratif de plus en plus manichéen. Le rapport de force entre le/les pirate(s) et le capitaine du navire dévie de sa trajectoire initiale pour sombrer dans le sentimentalisme primaire, celui qui fabrique de l’empathie à l’égard d’un capitaine devenu par son courage et son exemplarité devant la menace, une figure sacrificielle indépassable. Et qui mieux que Tom Hanks pour incarner celle-ci… Or dans un film abordant, même en filigrane, la dimension politique en prise avec la réalité économico-géographique du monde, il n’y a pas de camp. Juste des vérités. Pourtant, le réalisateur britannique singe cette rencontre forcée en la rendant cynégétique, sensationnaliste, palpitante, spectaculaire. Ce qui est valable pour un épisode de Bourne tourne, ici, au mauvais goût.
Si les atermoiements lapidaires de nos pirates laissent planer le doute, le principe de nécessité – celui d’obtenir une rançon – se laisse littéralement bouffer par l’exclusif du huis clos de la deuxième partie perçu, pour le coup, comme un dérivatif au véritable sujet. Capitaine Phillips ressemble alors à un énième blockbuster parfaitement en place. Interprétation, mise en scène, tempo, rendu. Tout y est pour nous dire que cela existe, s’est produit et se reproduira encore. Sauf que l’essentiel, au-delà de l’image produite, manque, comme si la désincarnation faisait office de note d’intention. Car les postures – démonstratives –, les dialogues – surlignés –, les rebondissements – exagérés –, et le dénouement – prévisible –, n’arrivent pas à personnaliser jusqu’à l’intime des solitudes contradictoires réunies dans un espace-temps spécifique. Et voilà que le spectateur est pris en otage, obligé d’assister pendant de longues minutes à un dénouement évidemment spectaculaire. Le traumatisme est là. L’organique supplante toute réflexion sur les agissements des uns et des autres. Comme si l’intervention finale n’avait d’autre option que de ressembler à une cinématique de jeu vidéo.
geoffroy
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