Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Le Loup de Wall Street (The Wolf of Wall Street)


USA / 2013

25.12.2013
 



L'AFFRANCHI





«Fuck You USA!»

Martin Scorsese renoue avec ses grandes sagas. Le Loup de Wall Street pourrait même être le pendant new yorkais d’un diptyque qui aurait commencé avec Casino. Un homme parti de rien, arrivé au plus haut, pas loin du « paradis », et qui va chuter en enfer : de la drogue, du sexe, du fric. Une blonde sexy comme épouse (Sharon Stone est remplacée par Margot Robbie), un associé aussi fraternel que burlesque (Jonah Hill se substitue à Joe Pesci), un gang de requins (finie la mafia, place aux courtiers), et la bourse comme gigantesque casino, où les arnaques se constituent sur du vent : la spéculation.

Et rien à dire Martin Scorsese est le cinéaste qui sait insuffler de l’adrénaline, durant trois heures, dans une histoire complètement shootée. Le Loup de Wall Street est une Valse des pantins à New York New York sous coke, pilules, crack, médocs … A croire que Scorsese était lui même défoncé en montant son film. L’orgie romaine (l’empire des sens, à deux doigts de la chute d’une civilisation) et sa décadence : obscène, indécente, extravagante, excessive… Le cinéaste n’a pas son pareil pour saturer une fresque de trois heures avec des séquences chocs, des visions oniriques, des pastiches de publicités où l’on vend le fric comme un produit consumériste ou comme un service de charlatan. C’est dans ces moments délirants qu’il puise son inspiration la plus intense, qu’il conquiert le spectateur. Le summum est sans aucun doute cette scène où Jordan Belfort, rétamé par l’abus d’une substance très illégale et périmée, en panique, doit rejoindre sa Ferrari. De l’instant où il lâche le téléphone jusqu’à l’épilogue de cette tragicomédie au réveil, le lendemain, entre hallucinations (cet escalier qui lui paraît si immense) et cocasseries, on comprend tout de l’impuissance du personnage à échapper à une fatalité (la justice) et la férocité de ce même personnage à vouloir survivre à tout prix.

Car au-delà de la maîtrise cinématographique du vétéran Marty, soulignons que les 3 heures de films ne seraient pas aussi passionnantes s’il n’y avait pas Leonardo DiCaprio pour « porter » cette histoire. Le charisme est démesuré. Son sens de la comédie, rarement filmé, est révélé. N’hésitant jamais à plonger dans le grotesque, sans jamais être ridicule, le comédien amène de subtiles nuances, dans son regard, sa voix, ses gestes, qui transcendent le film. C’est un véritable show, « bigger than life », entre stand-up brillant et tragédie scorsesienne. L’abus de biens (et de possessions) amène toujours à l’autodestruction, à quelques cachets de la démence. DiCaprio montre une fois de plus à quel point il est sublime et génial dans ce genre de rôles où il peut avoir le monde à ses pieds, comme voir son monde s’écrouler.

Accompagné de bons second-rôles (mention spéciale pour Matthew McConnaughey, qui en une scène impose l’amoralité de Wall Street), l’histoire se déroule sous nos yeux avec de nombreux détails, mais aussi des intermèdes visuels « drôlissimes », des voix-offs qui donnent une tonalité humoristique rare dans l’œuvre du cinéaste. Clairement, le cinéaste, sans doute de peur de répéter le génial Casino, avait besoin de ressourcer son cinéma dans un format plus contemporain et un genre moins opératique. Comme si lui-même s’était pris une bonne dose de came avant de se lancer dans son film le plus sexe (gay inclus) et le plus insouciant. Car de voir ces courtiers vivre comme s’il s’agissait d’un Spring Break infini, on ne retient que leurs gamineries et bizutages d’ados.

Scorsese n’a plus de pudeur. Il fonce tête baissée, comme ce taureau qui symbolise Wall Street et voit un chiffon rouge. L’ultime plan montre bien qu’il a réalisé ici un film sur la crise financière de 2008, que les victimes ce ne sont jamais les salauds, qui jouent au tennis en prison, se refont une santé en donnant des conférences. Les victimes, c’est bien cette classe moyenne qui prend le métro, et n’a pas forcément les moyens de se soigner ou de s’éduquer. Il ne juge pas mais il démontre combien la finance détruit l’homme et la société, quand elle ne brasse que du vide. Rien dans son discours n’est didactique. Le spectateur se fait sa propre opinion sur cet argent égoïste. Sur ce fric qui corrompt. Sur ces courtiers qui se foutent des gouvernements, de la collectivité, et ne pensent qu’en meute, en loups, pour être les rois de la jungle.

Mais c’est aussi là la limite de cette épopée. Le loup de Wall Street souffre de ses propres excès. Le réalisateur ne peut pas s’empêcher d’abuser de champs/contre-champs durant ses longs dialogues (certes bien écrits mais plus soporifique que roboratif au bout du quatrième). Là, son style, académique, devient une marque de fabrique d’autant plus pesante qu’elle affaiblit cette tonicité que l’on retrouve dans les scènes collectives du film. Comme s’il fallait donner à chacun des comédiens, « sa » grande scène…
Surtout, le spectateur n’est jamais surpris. Avec sa construction en trois actes, très classique, son cadre déjà vu (on connaît tout de Wall Street et de ses effets nauséabonds sur l’humain depuis le film d’Oliver Stone), et la présence de DiCaprio (qui ici offre une variation ou un mix à Howard Hugues/Jay Gatsby/Frank Abagnale), on a cette étrange sensation d’être à la fois fasciné et blasé en sortant de la salle.
 
vincy

 
 
 
 

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