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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Mère et fils (Pozitia Copilului - Child's pose)
/ 2012
15.01.2014
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QUAND L’AMÈRE MONTE
"Vous avez un autre enfant. Moi, c’est le seul."
Il est facile d’expliquer ce qui a séduit le jury mené par Wong Kar-Wai lors de la Berlinale 2013, et l’a décidé à remettre l’Ours d’or à Mère et fils du Roumain Calin Peter Netzer : non seulement le film dépeint sans fard une relation compliquée et douloureuse entre une mère et son fils déjà adulte, mais il dresse également le portrait peu amène d’une classe moyenne roumaine décomplexée qui revendique l’héritage des classes supérieures du passé, privilèges et passe-droits compris. Deux sujets forts qui satisfont à la fois les spectateurs soucieux de peintures sociales et ceux plus attachés aux variations complexes de l’âme humaine. Mieux, le film met également dans sa poche cette part infime du public qui aime les propositions formelles minimalistes et radicales.
Calin Peter Netzer semble en effet avoir réglé à sa manière l’éternelle question de savoir comment filmer deux personnages qui parlent, en imaginant une caméra perpétuellement à l’épaule qui passe (littéralement) d’un visage à l’autre tout au long de la conversation. Eprouvant pour le spectateur et pas forcément toujours judicieux en terme de rythme, mais en parfaite adéquation avec le choix de scènes étirées à l’infini et ultra dialoguées dans lesquelles la parole est toujours centrale et la caméra assez intrusive.
Mais trêve de cynisme : certes, Mère et fils se présente comme un film formaté a priori pour plaire dans les festivals. Pour autant, on ne peut nier ses qualités intrinsèques. Tourné presque exclusivement en intérieur, dans de longs plans sans échappatoire, le film est si oppressant et étouffant qu’il recrée à la perfection le climat de claustrophobie dans lequel évoluent ses personnages. Claustrophobie sociale, d’abord : Cornelia, la "mère" du titre, est l’égérie des hautes sphères d’une Roumanie post-communiste où l’on reste entre soi, méfiant et méprisant envers tout ceux qui appartiennent à d’autres cercles. Claustrophobie familiale, surtout, puisque Cornelia incarne à la perfection l’archétype de la mère envahissante et ultra possessive qui semble tout dévorer sur son passage. Ce personnage monstrueux ne semble avoir de limite ni dans sa mesquinerie (elle interroge la femme de ménage de son fils pour avoir des informations sur sa vie intime), ni dans son indécence, lorsqu’elle demande aux parents de l’enfant mort d’accepter son argent pour lui permettre d’avoir bonne conscience.
Mais Calin Peter Netzer ne juge pas ses personnages, ce qui rendrait son film horriblement moralisateur. Il montre au contraire des êtres qui ont tous une part d’ombre horrifiante cohabitant avec des éclairs d’humanité. Car autour de Cornelia, personne n’apparaît vraiment à son avantage. Son mari s’écrase pour avoir la paix, son fils est un lâche sans envergure. Le film est ainsi construit comme une succession de confrontations dont Cornelia sort toujours victorieuse, quel que soit le prix à payer. On assiste ainsi, au-delà du tableau au vitriol d’une certaine réalité sociale, à la prise de pouvoir en règle d’une mère sur la vie de son fils. Et le pire, c’est que passé le premier choc, cette femme incroyable prend un plaisir non dissimulé à cette ingérence malsaine.
Assumant pleinement l’âpreté de son propos et l’aridité de sa mise en scène, le réalisateur ne lâche rien et va jusqu’au bout de son projet initial, quitte à infliger au spectateur des séquences étirées jusqu’à l’insupportable. Que l’on apprécie ou non ce type de cinéma sans concession, on ne peut qu’être admiratif du tableau au vitriol de la Roumanie contemporaine qui en ressort, mais aussi de la vision ultra cynique des relations humaines et familiales (apparemment autobiographiques) que défend le cinéaste. Si l’on compare son film à celui de Yuri Bykov (The major) dans lequel un officier de police renverse et tue lui-aussi un enfant parce qu’il roule trop vite, la noirceur tragique du Russe semble bien naïve face à l’impunité éclatante du Roumain. Dans le premier cas, la question morale est insoluble, mais elle se pose. Dans le second, elle n’a tout simplement aucune raison d’être.
MpM
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