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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Jacky au royaume des filles
France / 2013
29.01.2014
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LE PAYS DE LA PEUR – UNE COMÉDIE GÉNITALE
« - J’apprend l’art de l’écriture.
- C’est rare pour un garçon. »
Reconnaissons à Riad Sattouf l’envie de faire des films singuliers dans un secteur cinématographique de plus en plus scindé en trois : les comédies populaires, les thrillers et autres productions internationales, les films d’auteur pour les festivals. Sattouf fait partie d’un groupe rare de cinéaste – on pourrait y inclure un Gondry par exemple – à vouloir imaginer des films originaux, qui s’adressent à des jeunes (sans les prendre pour des cons), tout en dépeignant un monde étouffant (le lycée et la famille dans Les beaux gosses, une dictature et les femmes dans celui-ci).
Jacky au Royaume des filles est loin d’être parfait. Plaisant, certes. Inégal, assurément. Bourré de bonnes petites idées, le récit oscille entre absurdité délirante (façon Les Nuls), farce satirique (sauce Jean Yanne) et initiation d’un ado vers l’âge adulte (la confusion des sentiments). Dans cette dictature tyrannisée par les femmes (une sorte de régime Taliban où le pouvoir des deux sexes est inversé), les hommes sont des esclaves en niqab (des « voileries »), bons pour faire la bouille, cirer les bottes, et accessoirement se faire violer…
Reconnaissons que Sattouf exploite pleinement cette idée de base, faisant le tour des situations possibles. Nous voici immergé dans un monde nord-coréen, où le cheval est érigé comme une divinité. De métaphores en néologismes loufoques, le réalisateur créé une civilisation aussi burlesque qu’effrayante.
Ce qui nous fait dire que la domination d’un sexe sur l’autre n’a aucun sens. Jacky au Royaume des filles prône l’égalité entre les couillards et les femmes. Sous forme de conte de fée, qui débute quand même avec une séquence de masturbation épique, le film est incarné par des caricatures peu rieuses : des femmes militaires, policières, matrones, des hommes malheureux, soumis, oppressés. L’humour réside dans le décor, les situations, les parodies (cette famille qui rappelle les Thénardiers dans Les Misérables), parfois dans les dialogues (« il est extrêmement couillardé. Regardez : deux sabots de long »). L’histoire est sans doute trop simpliste et même naïve pour nous captiver complètement, ou même transcender cette « comédie » romantique. Mais Vincent Lacoste, parfait dans le personnage du cendrillon mâle vulnérable, qui rêvait d’épouser la future générale, et très jolie jeune femme quand il se travestit, comble les vides ou les failles.
S’il n’y avait pas ce côté amateur par certains moments, traduisant le manque de moyens quand il faut en déployer, on serait complètement immergé dans cette Corée du Nord (nous sommes chez les Bubunnes) d’un autre temps, défiant les puissances étrangères, leur « sodomage » et autres « viciardises ».
La propagande est hilarante (« Mariez vous, manger de la bouillie, et priez les chevalins pour purifier vos cœurs »), les « blasphémeries » amusantes, l’absence de glamour assumée. Et si Sattouf avait un peu mieux travailler son scénario, l’aventure aurait été réjouissante. Hélas, il est précis dès qu’il s’agit de faire évoluer son personnage principal à travers ses erreurs, avec ses rêves, entre sa solitude et son insouciance. Il bâcle davantage la partie romanesque et révolutionnaire.
Tragédie d’un homme sensible dans un monde de brutes, le film bascule de la satire vers la farce dans sa dernière partie. Ainsi déséquilibré, malgré l’arrivée de Charlotte Gainsbourg (impeccable, toute en nuances subtiles et maîtrisées), l’histoire perd de son intensité et même de sa qualité initiale. Ça ne dit finalement rien sur la différence entre les deux sexes, sauf à croire qu’il n’y en a pas. Les femmes se conduisant comme des hommes, les hommes se laissant humiliés comme des femmes, on ne voit pas ce que Sattouf veut réellement démontrer, s’il veut démontrer quelque chose. Une puissance amazone serait donc aussi liberticide qu’une puissance machiste. La confusion des genres, jouissive, devient alors stérile.
C’est dans l’image que le réalisateur insuffle son inspiration : la beauté du bal des prétendants ou des plans plus crus et sans pudeurs. C’est aussi dans sa critique d’une Nomenklatura asservissant un peuple, même si ça n’a rien de neuf, qu’il semble le plus convainquant.
Mais cela ne suffit pas à faire décoller son film. Manque de souffle, perte d’originalité : l’œuvre s’époumone à vouloir nous distraire tout en avançant sans trop s’égarer. Il faut attendre le dernier plan, saisissant, pour que nous soyons enfin scotchés. Sans le révéler, cette surprise finale, bien amenée, transforme notre regard sur cette œuvre. Ultime « blasphémerie » bienvenue qui nous fait regretter que tout le paquet ne soit pas à cette hauteur. C’est couillu. Avec un peu plus de vigueur, ça aurait même été bandant.
vincy
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