Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Nymphomaniac - Volume 2


Danemark / 2013

05.02.2014
 



L’ORIGINE DES MAUX DU MONDE





La narration reprend précisément là où Lars Von Trier l’avait laissée à la fin du premier volume. La continuité s’affiche sans fard, dans la rigueur d’une mise en scène s’efforçant à partir d’une double réflexion de comprendre le mal qui ronge Joe. Celle qui prend vie par les situations narrées comme celle qui se forme par l’intermédiaire d’une construction iconique spécifique. Or, rien ou presque ne semble se détacher au-delà des vertiges d’un cinéaste pressentant violemment cette mise en abîme programmée, presque trop attendue.

Rappel. À la fin du volume 1, Joe ne ressent plus rien. L’orgasme lui est interdit, impossible, illusoire. Seul reste ce souvenir lointain d’une extase de fillette dans un champ. Spontanée, elle fut unique. Depuis, nothing ! La rupture se consomme alors par soubresaut dans un basculement narratif écourtant l’aspect dialectique des nombreuses causeries des deux personnages. L’œuvre, libérée quelque peu du dictat de la pensée, assume enfin sa mise en représentation autour d’une Joe luttant pour sa survie.

LVT se focalise, prend de la hauteur et son temps. Au cœur de son sujet, il renforce l’aspect d’un intime torturé, adepte de sensations fortes, exclusives, jusqu’au-boutistes. Le segment avec le docteur SM (Jamie Bell, flippant) remplit le deuxième volet pour construire une détresse vivante, certes froide, mais crédible. Le cinéaste nous invite dans l’univers cérébral d’une Joe tendue qui ne peut plus reculer. Toucherait-elle enfin au but ? Ce segment très érotique, de loin le plus réussit du film, s’avère choquant d’un point de vue éthique mais crée la tension nécessaire d’un rapport au corps a priori salvateur qui veut en finir avec celui qui fut récalcitrant, inopérant, malade. Le désir réapparait sous une autre forme en acceptant enfin de se laisser guider par ce corps si spécifique.

Le désir ressurgit. Mais à quel prix ? Celui de la solitude, loin de son amour, de sa famille et surtout de son enfant. Tel est le fardeau que doit endurer Joe pour se sentir vivante même si la culpabilité la ronge au point de se retrouver dans un groupe de parole pour femmes addictent sexuellement. Là, LVT tenait pour de bon le fondement de son interrogation entre norme sociale et vérité corporelle qui fait du corps beaucoup plus qu’une simple enveloppe charnelle. La discussion entre Joe et Seligman, en dehors des métaphores et autres analogies de comptoir coupables, nous rappelle que corps/sexe et éducation/culture sont liés comme les deux faces d’une même pièce.

Le vide frigide du cinéma de Von Trier

Ceci dit, rien d’étonnant à voir LVT brouiller les pistes, lui qui ne peut se satisfaire de l’étude de cas. Il se retrouve dans l’obligation de pervertir la trajectoire de son anti-héroïne puisqu’il n’arrive tout simplement pas à décrire formellement ce qu’elle représente. En somme le vide remplit le vide par une sur-fictionnalisation plus que douteuse. Les images se répètent, les idées jaillissent et les provocations s’enchaînent. Mais dans quel but ? Aucun, puisque tout recommence sans cesse. Alors LVT joue à l’érudit comme au provocateur content de choquer le bourgeois. La scène, fort drôle au demeurant, où Joe se retrouve prise en sandwich par deux noirs aux membres démesurés, résume assez bien la démarche d’un cinéaste incapable de laisser parler la scène dans ce qu’elle dévoile. Si celle-ci n’a rien de choquant en soi, les propos de Joe détournent le processus tragique d’un échec vers ce qui s’apparente à de la "petite" provocation dont il est, hélas, passé maître.

Et là, de comprendre où veut en venir LVT. Il prend des chemins de traverses, use de la digression, amène de la contradiction au point de rendre toute chose égale à toute autre. L’odyssée de Joe s’embourbe progressivement dans une incapacité d’incarnation au sens véritable, sincère, poignant du terme. LVT se retient, n’a pas confiance dans la valeur d'une image pour iconiser Joe la nymphomane. Il tranche, certes. Au point où celle-ci finira par accepter sa condition. Comme une malédiction qu’elle devra porter jusqu’à la fin de son existence. Le basculement n’a pas lieu. Car il n’est ni philosophique, ni organique, ni métaphysique. Il sera d’ordre événementiel, comme un retour de bâton un peu poussif, ancrage romanesque d’une réalité perdue saccagée par l’incompréhension d’un corps différent. La réflexion naturaliste envisagée lors du premier volet se transforme vers le dernier tiers du deuxième volet en un thriller urbain rétrécissant l’espace d’un cinéaste bouffé par le rendement tragique autour de Joe.

De fait, Joe change de nature. Elle se retrouve coincée dans les délires nihilistes (narcissiques ?) du réalisateur. Elle n’est plus qu’un pantin à la solde d’une vision forcément pessimiste de l’humanité. L’étude de cas, qui aura atteint son paroxysme dans le segment SM, s’effondre au profit de rebondissements anodins car impropre à expliciter ce qui a poussé LVT à réaliser Nymphomaniac. Dire que c’est cousu de fils blancs ne servirait à rien. Tout comme à considérer que le hasard heureux ferait un peu trop bien les choses. De là à dire que LVT joue au chat et à la souris sur des réalités qui n’ont rien à voir avec la nymphomanie (racisme, pédophilie, antisémitisme, misogynie…), il n’y a qu’un pas. Que LVT franchit aisément puisqu’il peut bien faire ou dire ce qu’il veut. Quitte à remplir son film d’ambiguïtés. La fin résonne alors comme une dernière pirouette. Certains diront le contraire et trouveront le rapport au corps de Joe inéluctable, faisant de celle-ci ce qu’elle est. La logique serait donc respectée. Comme la pointe d’espoir, de lumière, d’espérance disparue dans les méandres glauques d’un mauvais polar noir mal scénarisé.

Et nous restons perplexes sur ce conditionnement méticuleusement programmé d’un destin de femme en conflit avec son corps, réceptacle des maux d’un monde à l’agonie où le bonheur ne serait qu’une illusion à grande échelle.
 
geoffroy

 
 
 
 

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