Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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The Grand Budapest Hotel


USA / 2013

26.02.2014
 



LOBBY GAI





"- c'était un sacré bon coup.
- elle avait 84 ans!
- j'ai connu plus âgée."


Un soupçon légitime
Dès les premières images, dès les premiers basculements dans le temps, nous voici immergés dans un film où la légende d’une vie nous ait racontée comme un film d’animation. Forcément, le réalisateur de Fantastic Mr Fox nous refait le coup d’un rusé renard qui tente d’échapper à son destin. D’ailleurs Anderson n’hésite pas à reprendre plusieurs de ses films dans ce Grand Budapest Hotel.
On y retrouve un univers aux couleurs vintage où chaque détail est étudié à la loupe et où rien n'est laissé au hasard. La symétrie, les uniformes très précis, les gestes pensés, on sent que le réalisateur a laissé son empreinte sur chaque (re)coin de l'écran. Un obsédé du style (des costumes aux décors, des miniatures au langage), préférant ainsi l’absurde à une quête de sens, l’humanisme et le vain à la dramaturgie et l’essence. Mais, comme nous le verrons, The Grand Budapest Hotel est bien plus riche que son simple (et beau) vernis. Loin de se répéter, il a donné un goût un peu amer à sa dernière pâtisserie, rendant son film plus savoureux que simplement délicieux.

Perfectionniste, cette remontée dans le temps s’influence des atmosphères de Kubrick pour mieux les dynamitées avec des séquences étourdissantes proches des Marx Brothers (Panique à l’Hôtel). Il est étonnant qu’un tel vent de fraicheur souffle ainsi sur une comédie aussi trépidante qu’élégante, jamais mortifère malgré les drames et les horreurs. Le film est même vertigineux (pas étonnant que l’hôtel soit lui-même en altitude) comme un toboggan sans fin qui nous fait dévaler différents cinémas : d’un film comme Gosford Park aux délires de Blake Edwards, de genres hollywoodiens comme la prison aux références culturelles germanophiles, de Stefan Sweig à Thomas Mann.
Chacun des personnages est travaillé dans son excentricité et le Grand Budapest Hotel lui-même obtient un rôle central, comme autrefois la maison new yorkaise des Tenenbaums ou celle plus champêtre de Moonrise Kingdom. C’est là que toute la comédie humaine prend place. Cependant, ici, la douce folie des personnages ne porte pas à elle seule le film. Là où La Vie aquatique ou bien encore À bord du Darjeeling limited avaient pu atteindre certaines limites quant à leurs scenarii, parce que la quête était trop distante, trop intime, The Grand Budapest Hotel se lance en un souffle dans une course effrénée, nous laissant peu de répit -dans la lignée du très réussi Moonrise Kingdom - délaissant tout didactisme familial, toute métaphore signifiante. Anderson réalise un thriller burlesque, au seul service de son inventivité visuelle et son ingéniosité narrative, insérant son message au détour de quelques scènes plutôt que d’en faire l’aboutissement d’un périple. A croire que les voyages temporels lui réussissent mieux que les voyages géographiques, obligeant l’auteur à condenser ses idées dans une chronologie classique plutôt que de s’égarer dans des errances plus mystiques.

Wes Anderson nous entraîne dans un contexte de polar qu'il n'avait jamais abordé, à mi-chemin entre le cluedo et une oeuvre d'Agatha Christie, plongeant dans le contexte d'une Europe centrale fictive (aussi kitsch que british), époque de l'entre-deux-guerres (l’ombre nazie n’est évoquée que sous forme allégorique) où l'humour très décalé et les gags forcément burlesques désamorcent toute tragédie familiale ou politique. La force du cinéma d’Anderson est basée sur le mouvement : c’en est même la motrice. Les protagonistes se poursuivent, courent, fuient (à pieds ou en luge ou en train), creusent des tunnels… l’immobilisme n’est réservé qu’au « présent » (lui-même passé en fait) quand le propriétaire de l’Hôtel narre son histoire, affabulée ou pas, peu importe.

Un homme qu’on n’oublie pas

Pour de furtives scènes ou des seconds rôles cruciaux, tous les invités sont au rendez-vous, des fidèles Bill Murray (7 films ensemble!), Owen Wilson, Jason Schwartzman, Tilda Swinton, Adrien Brody, Jeff Goldblum, Willem Dafoe, Edward Norton, aux nouveaux venus Saoirse Ronan, Jude Law, F. Murray Abraham ou Mathieu Amalric. Mais pour le rôle de M. Gustave, le réalisateur a choisi, avant même d'écrire le scénario, Ralph Fiennes, avec qui il collabore ici pour la première fois. Pour donner vie au personnage de M. Gustave, Fiennes a réussi le difficile exercice de trouver le parfait équilibre entre réalisme et caricature, entre un Gene Hackman des Tenenbaums et un Buster Keaton, ne perdant ni son flegme britannique, ni son excentricité, basculant sans difficulté d’un humour chic à une dérision potache. Cette direction d’acteurs, brillante, apporte une cohésion fantastique à cet univers fantaisiste.
Et si tout est fictif et même factice (le réalisateur recours parfois à l’animation de maquettes pour « déréaliser » sa farce), The Grand Budapest Hotel repose sur les fondements plus sérieux des valeurs du cinéma de Wes Anderson : à commencer par la famille, forcément dysfonctionnelle et plus particulièrement les rapports père/fils (ici, sans liens de sang). Anderson ajoute même un élément transgressif en rejetant l’idée que toute transmission, qu’il s’agisse de valeurs humaines ou d’héritage, est généalogique. Ici elle se produit par la confiance et l’amitié, éventuellement l’amour.

Wes Anderson sonde ainsi un peu plus en profondeur, deux familles : celle de Madame D. (Tilda Swinton méconnaissable), de son fils Dmitri (Adrien Brody survolté à la limite de la folie), de son homme de main (Willem Dafoe, stoïque et terrifiant) et des trois soeurs de Madame D. tout droit sorties de la famille Adams où d'un conte version Tim Burton. Cette famille est une jungle. Elle s’oppose à un arbre ancien mais sans branches, le personnage de Ralph Fiennes, gardien des traditions et sauveur de vieilles dames solitaires.
Presqu'en miroir, le réalisateur aborde alors le thème de la filiation. Ralph Fiennes donne la réplique à Tony Revolori, Zero, lobby boy du Grand Budapest Hotel. Entre eux, aucun véritable lien de parenté et pourtant on ne peut s'empêcher de voir là une relation père/fils. La transmission du savoir et de l'amour (ici du travail comme des femmes) en est le pivot central et une grande tendresse vient agrémenter cette relation particulière où M. Gustave prend Zero sous son aile, celui-ci souhaitant fortement ressembler et marcher dans les pas de ce fameux M. Gustave, allant même jusqu'à se dessiner une moustache d'un simple trait noir sur le visage comme un hommage à son mentor. Anderson, le Texan qui vit en Europe, défend ainsi l’idée que l’adoption (métissée) est supérieure aux liens dégénérant du sang (qui, incidemment, par solidarité de caste, amène au fascisme).

Le voyage dans le passé

Au final ce divertissement, qui sait parfois être émouvant, nous donnerait envie de séjourner dans ce Grand Budapest Hotel et de croiser ses fantômes. Ce mixage de différents humours, ce récit gigogne où chaque pièce s’emboîte dans une autre, rappelle la BD franco-belge : chaque case contient un élément qui fait avancer l’histoire, et peu importe si l’on passe du rire à la (fausse) frayeur. Ce qui compte c’est l’action, qui rend le film survolté : comme M. Gustave refuse de se soumettre à ces régimes autoritaires, à cette famille de cupides intéressés, préférant résister et être dans l’illégalité, le film rejette toute idée d’une paresse autant dans le rythme que dans les idées, essayant à chaque fois de se réinventer pour nous surprendre et nous embarquer dans son voyage turbulent. Bien sûr on sait que le fascisme a vaincu, que M. Gustave représente un panache qui n’est plus.

Mais Anderson n’oublie pas que derrière toute folie, il faut de la poésie. C’est ainsi que tout le film est une transposition d’un livre écrit par un auteur n’ayant jamais existé, devenu gloire nationale de son (faux) pays. L’héritage de M. Gustave est littéraire. Son existence et ses valeurs (parfois peu catholiques) ont été transmises aux générations futures parce qu’un écrivain a raconté l’histoire d’un homme qui étaient aux premières loges : le conte a donné le roman écrit que le cinéma nous invente.
Et ainsi, les survivants d’une époque épouvantable et les nostalgiques de la période qui a précédé le déclin n’ont pas simplement résisté : ils prouvent par l’oral, l’écrit, l’image que c’est toujours la lumière qui l’emporte sur l’obscurité, que l’art sera toujours plus fort que la guerre, que les Gustave et autres zeros sont les véritables héros de ce monde baroque. Chez Wes Anderson, ce sont toujours les âmes singulières et leurs folies qui triomphent de l’adversité.
 
morgane

 
 
 
 

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