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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L'étrange couleur des larmes de ton corps
Belgique / 2013
12.03.2014
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THERE WILL BE BLOOD
"Ta part sombre est la plus belle chose que tu aies et elle m’appartiendra toujours."
Le titre, aux faux airs de haïku japonais, annonce les principales composantes du film : l’étrangeté d’un récit qui se perd dans les méandres de l’inconscient, la couleur qui explose en touches vives ou se retire brutalement de l’image, les corps maltraités ou sublimés, sacrifiés, torturés et même démembrés. Quant aux larmes, elles sont écarlates et s’écoulent aussi bien des corps que des murs. Les règles qui s’appliquent dans ce polar mystérieux et quasi claustrophobe n’ont en effet plus grand-chose à voir avec celles qui régissent notre monde. Une fois passées les portes de la maison Art nouveau où habite le personnage principal, on est projeté dans un espace labyrinthique effréné et vertigineux où chaque porte et chaque mur dissimulent un secret enfoui. Plus le personnage progresse dans sa quête, plus il semble évoluer dans un espace mental où se bousculent fantasmes enfouis et désirs inavoués. La frontière devient ainsi de plus en plus poreuse entre une réalité terriblement dérangeante et des cauchemars d’une extrême violence. Comme dans les méandres du cerveau, l’esprit déambule, se perd, fait des découvertes annonciatrices des bouleversements à venir et réunit patiemment tous les indices destinés à le mener à la clef du mystère. Sans deviner encore que cette clef est profondément enfouie en lui.
Poursuivant dans la veine qui est la leur depuis leurs débuts, Hélène Cattet et Bruno Forzani proposent une expérience sensorielle aux multiples facettes où s’impriment tour à tour l’influence du giallo (genre italien des années 60 à 80 qui est à la frontière du cinéma policier, du cinéma d'horreur et de l'érotisme), du gothique, des théories psychanalytiques et du cinéma pur. Si l’intrigue semble se dissoudre au fur et à mesure que le récit se complexifie et se déstructure, c’est parce que l’univers qui se fait jour est bien plus important que le classique Whodunit. Avec son atmosphère délétère, son audace stylistique et sa longue juxtaposition de cauchemars, de fantasmes et d’obsessions, L’étrange couleur des larmes de ton corps s’impose ainsi comme un objet envoûtant et sensuel, purement cinématographique.
Revenant aux sources du cinéma, les deux cinéastes ont en effet une écriture narrative qui passe principalement par l’image, le son et les sensations qui s’en dégagent. Chaque séquence est ainsi minutieusement découpée en une multitude de plans parfois très brefs, comme des flashs, qui mettent les détails (plus que les explications dialoguées) au cœur du récit. Ce montage très syncopé permet de créer des chocs et des tensions entre les scènes, mais aussi des correspondances et des échos. Même chose pour les jeux sur la palette chromatique (tantôt avec des éclairages au néon, tantôt dans une gamme de noirs ultra profonds) qui ramènent toujours le spectateur sur la piste du réel et de l’irréel.
Plus que les personnages, volontairement réduits à des silhouettes interchangeables et archétypales, ce sont les lieux, et donc la maison où se déroule l’action, qui mènent le jeu. Les murs, par exemple, cachent des secrets insoupçonnables. Mais ils peuvent aussi parler (métaphoriquement), ou ouvrir un passage vers des ailleurs mystérieux. Les différents décors Art nouveau choisis par Hélène Cattet et Bruno Forzani (et qui sont d’ailleurs à l’origine de leur désir de faire le film) deviennent alors un corps inquiétant qui abrite sa propre part d’ombre. Si l’on écoute attentivement, la maison semble respirer, soupirer et même gémir. Tout est fait pour renforcer l’aspect organique de ce dédale de couloirs, d’escaliers et d’appartements dissimulant des comportements et des êtres étranges. Un immense organisme dont on ne connaît pas les desseins secrets, mais dont la malveillance devient de plus en plus palpable au fil du récit.
Avec un film qui plonge et perd le spectateur dans un tel univers, le risque est grand de générer une immense frustration. Il ne faut en effet pas compter sur Hélène Cattet et Bruno Forzani pour expliquer l’intrigue ou en révéler les clefs. A la première vision, il est presque impossible de saisir toute la complexité des destins qui s’entrechoquent, et les pièces du puzzle sont si bien dissimulées dans chaque plan qu’on ne peut les réunir toutes. Mais qu’importe. Une œuvre plurielle et complexe comme L’étrange couleur des larmes de ton corps mérite plusieurs visions, qui apportent chacune une nouvelle couche de compréhension. Il faut, de toute façon, vivre le film comme une expérience totale et sensorielle par laquelle on se laisse entièrement submerger. Ce n’est qu’une fois tous ses repères abandonnés que l’on est prêt à plonger dans les confins de l’âme humaine.
MpM
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