Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Le grand cahier (A nagy Füzet)


/ 2013

19.03.2014
 



MONSTRES ACADEMY





"Nous ne permettrons pas qu’on nous sépare."

Bien qu’il se déroule dans un contexte historique clairement défini (en Hongrie pendant la seconde guerre mondiale), Le grand cahier (adapté du roman éponyme d’Agota Kristof) ressemble à une fable presque fantastique sur l'enfance sacrifiée et la perte d'humanité. Le petit village où se déroule l’intrigue ressemble en effet à un univers de conte sauvage où tout est vu sous une loupe grossissante : la saleté, la misère et même la cruauté de personnages totalement dépourvus de la moindre compassion. Mais si les figures monstrueuses ne manquent pas, elles fluctuent d’un moment à l’autre du récit, selon la perception qu’en ont les deux narrateurs. Ainsi la grand-mère, ogresse sadique dont les deux enfants finiront par prendre le parti, ou l’officier nazi avec lequel ils entretiennent une relation ambiguë. En ces temps d’effroi et de violence, c’est comme si tout jugement de valeur devenait absolument relatif, le bien et le mal devenant les deux faces d’une même pièce.

Pour accompagner cette impression de huis clos glacé à la limite de l’allégorie, le réalisateur Janos Szasz (Woyzeck, The Whitman boys) fait le choix d’une mise en scène très dépouillée où une esthétique ultra stylisée le dispute à un sens aigu de l’ellipse. Cela lui permet de mettre à distance la violence presque insupportable de son propos et, dès les premières scènes, de baigner le spectateur dans une ambiance anxiogène. Le glissement graduel du récit vers une folie diffuse n’en est alors que moins perceptible, ménageant un meilleur effet de saisissement et d’effroi pour la dernière partie du film.

En apparence manichéen (violence versus innocence), le film distille en réalité un message plus ambigu qu’il n’y paraît. Au cœur de l’intrigue, on retrouve les deux frères qui sont les narrateurs uniques du récit (via leur Grand cahier et ses envolées presque lyriques en format animé), ce qui est capital pour justifier la forme de conte allégorique qu’emprunte le film : seul le regard déformé de l’enfance peut rendre aussi maléfiques et inquiétants des faits qui sont juste tristement sordides. De même, en attirant d’emblée la sympathie sur eux, le scénario renforce le message implicite du film sur les effets secondaires de la guerre qui finit par déshumaniser ceux qu’elle ne tue pas, mais place aussi le spectateur dans la situation paradoxale et inconfortable d’éprouver de l’empathie pour des êtres au comportement de plus en plus moralement répréhensible. Car en cherchant à s'endurcir face à un monde qui ne cesse de les persécuter, les jumeaux se replient sur eux-mêmes et sombrent dans une violence pire que celle qui leur est infligée. Ils ressemblent ainsi peu à peu à des robots cruels en pleine expérimentation de la folie humaine.

Face au degré de perversité nécessaire pour les amener à l’état d’esprit qui est le leur à la fin du film, le spectateur ne peut que se sentir trahi, et nécessairement choqué. Le procédé manque sans doute de finesse, mais fait preuve d’une efficacité redoutable. A l’image du film lui-même, dont l’esthétique stylisée et la construction épurée sont un peu trop appuyées, mais atteignent parfaitement le but d’édification et de saisissement que s’étaient fixés les auteurs.
 
MpM

 
 
 
 

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