Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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The Canyons


USA / 2013

19.03.2014
 



AMERICAN PARANO





L’entrée en matière laisse perplexe. Elle surprend comme elle désappointe. De toute façon, n’attendez pas d’un vieux briscard comme Paul Schrader qu’il suive les sentiers battus de la bien-pensance. Surtout qu’il est épaulé par Bret Easton Ellis responsable du scénario. Si The Canyons n’est pas une franche réussite, le film, financé pour une bouchée de pain avec l’aide des internautes (250 000 dollars), demeure fascinant, diabolique, entre vraie-fausse érotisation d’un environnement où le jeu de dupes, maquillé en thriller paranoïaque, s’amuse à recycler tout un pan de la contre-culture underground ciné des années soixante-dix-80, pour en extraire sa pseudo-modernité 2.0. L’immatérialité des relations entre les différents protagonistes fait écho au décor vide d’une cité froide, comme inexistante, porteuse en elle des germes de la dégénérescence.

L’introduction ne dit pas autre chose. Elle désincarne puis fige l’espace par l’intermédiaire de plans de caméra vidéo montrant les façades de vieilles salles de cinéma abandonnées. Los Angeles se retrouve alors perdue dans la pesanteur de sa propre contemplation, comme incapable d’exister au-delà de ce qu’elle est censée représenter.

Paul Schrader ne s’y trompe pas et ausculte avec malice les déboires sentimentaux de jeunes (et beaux) adultes paumés puisque privés d’idéal. La manipulation s’érige en recours, ressort dramatique indispensable pour dynamiser une narration plate, comme inerte, insuffisante ou inopérante compte tenu des individus censés la porter. D’ailleurs, le réalisateur se moque pas mal d’une quelconque ressemblance avec les histoires "cheap" à la « Hollywood stories ». Son film n’est pas tendance ni un produit d'Entertainment. Il est cynique de bout en bout, cultivant, pour ce faire, un sentiment d’artificialité propre à développer une atmosphère ténue, minimaliste, anxiogène, presque véridique. Peu importe, alors, les faiblesses d’un film errant son nihilisme de façade incapable de dépasser la simple transgression de corps désincarnés jamais poétisés par notre couple réalisateur/scénariste.

Le désir est, ici, un leurre. Un objet de pression, un pervertissement, une addiction, un mal étrange qui conduit à la destruction. Paul Schrader filme ce no man’s land dans le désarroi d’un triangle amoureux voué à l’échec par peur du vide, sentiment paranoïaque, jalousie exacerbée, besoin corporel incontrôlable, amour viscéral inavoué. Cette dichotomie, entre l’aspect désertique d’un décor déshumanisant et la passion qui anime nos chers protagonistes, motive la dramaturgie d’un quotidien emplit de perversité malsaine. Rien de plus, rien de moins. D’où l’aspect froid d’un univers broyant des âmes dénuées de la moindre compassion. La mécanique des corps fait le reste.

Pour ce faire, le cinéaste s’appuie sur un duo d’acteurs aussi improbables que proprement photogéniques. En faisant s’accorder Lindsay Lohan, ancienne égérie de Disney tombée dans la drogue et l’alcool, et James Deen acteur X à la gueule d’ange, Paul Schrader compose un couple aussi glamour (fictionnel) que pertinent (réaliste). En effet, ne sont-ils pas, chacun à leur manière, les représentants idéaux d’un univers flou occultant pour partie la démarcation entre réalité et fantasmagorie? The Canyons navigue dans ces eaux-là, peu importe la patine administrée par Schrader. Les désirs ne sont pas assouvis pour ce qu’ils devraient être. Ils sont vécus mais incompris, vaincus en somme par une nécessité contradictoire à leurs fonctions premières.

Ainsi, le temps du thriller répond à celui, plus terre à terre, d’un intime sans cesse observé qui ne trouve aucune échappatoire pour ceux et celles qui n’existent plus à force de trop vouloir attendre une gloire déjà passée.
 
geoffroy

 
 
 
 

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