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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Her
USA / 2013
19.03.2014
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HEAR
«- C’est un éditeur qui imprime encore des livres !»
L’ultra-moderne solitude portée à son paroxysme. Dans un univers aussi élégant que glacial, faussement transparent et réellement technophile, un homme qui ne se remet pas de son divorce vit des amours par procuration. D’abord dans son travail. Il écrit des lettres romantiques (l’ordinateur les écrits au son de sa voix) pour les autres. Des déclarations « industrielles », dont les mots creux ont pourtant un sens pour celui qui les lit. Il est l’écrivain n° 612. Un être mélancolique, dépressif même, banal et timide, capable d’audace et même de panache. Dans un monde – sublime mélange de Los Angeles et Shanghaï –où la voix commande tout : l’écriture d’une lettre, la musique que l’on veut écouter, la lecture des courriels. Toute la vie passe à travers une oreillette et la voix. On ne touche plus rien (pas même des claviers ou des joy-sticks) et seul un divorce se fait à l’ancienne (avec un stylo et du papier). On fait l’amour par téléphone (et quand on veut le faire « en vrai », la panique s’installe).
Amours solitaires et intelligence artificielle : voilà le programme (évolué) de Spike Jonze. Un scénario délicat, un travail d’orfèvre dans l’écriture et les dialogues. Il explore parfaitement toutes les possibilités de son sujet et toutes les limites de l’intelligence artificielle dans un monde bien réel peuplé de névrosés qui finalement ne produisent plus rien. Un environnement déshumanisé où le quotidien presque oisif et répétitif aliène chaque individu. C’est subtil (notamment parce que Jonze ne verse pas dans la SF mais dans une "contemporanité" qui reflète la nôtre). C’est élégant (la lumière est omniprésente malgré la noirceur des âmes). Mais, à l’instar de ces personnages, le spectateur s’ennuie. Le film captive durant son premier tiers. Et s’étire pendant tout le reste de sa durée.
Jonze ne manque pas d’imagination mais Her souffre cruellement d’humour et de dérision. Le film est aussi déprimant que son personnage central, Théodore. Ce portrait intime d’un homme égaré dans sa vie et sauvé par la technologie (au point d’en devenir addict et d’en tomber amoureux) nous renvoie à notre propre rapport aux réseaux sociaux, jeux vidéos, films en ligne (pornos ou pas) et notre incapacité à établir des relations réelles avec l’Autre. Or, l’Autre - une ex, une voisine, un collègue peu importe – n’est pas un document : il ne se met pas à la corbeille, il ne se supprime pas. Il troue le cœur et laisse des souvenirs plein la tête (« Le passé est juste une histoire qu’on se raconte »).
Le réalisateur délivre ainsi une œuvre quasi philosophique. Mais le film, parfois rébarbatif, pour ne pas dire barbant, offre peu de sensations, d’émotions. Un paradoxe quand tout le scénario veut traduire la renaissance d’un homme à travers des sensations et des émotions procurées par un OS intuitif et hyperintelligent.
De la même manière que Théodore (Joaquin Phoenix fait un sans faute) et Samantha (Scarlett Johansson digne héritière de Kathleen Turner et pas seulement pour sa voix) sont frustrés, nous ne sommes pas comblés. Lui est seul et ne peut pas la prendre dans ses bras. Elle est seule et malgré toutes ses connaissances ne pourra jamais embrasser qui que ce soit parmi ses 8316 « abonnés » dont 641 qu’elle aime. Leur histoire d’amour est bien réelle (leur orgasme sur fond d’écran noir n’a rien de simulé). D’ailleurs le trouble nous paraît si évident, le lien virtuel est si facilement accepté que nous ne ressentons aucun malaise. Théodore est tellement plus heureux avec Samantha, qu’on est plutôt ravit pour lui. Le film aurait du stimuler une dialectique et effleurer les dangers éventuels : de facto, Her succombe aussi à la tentation et ne veut pas juger, ni critiquer de tels outils technologiques et de leurs conséquences sur notre vie sociale. En empathie totale avec Théodore comme avec Samantha, Jonze préfère verser dans la tragédie pour ne pas gâcher leur belle histoire d’A. Une sonate triste, grave même.
On aurait préféré quelques variations plus touchantes. Il manque des envolées ou des accélérations pour que le tempo ne nous assoupisse pas. Même dans le dernier quart d’heure, quand tout s’écroule, les mots littéraires et la plasticité des images ne sauvent pas le spectateur de cette torpeur : dans Her, la passion est froide, le sexe est onaniste, et le monde pas tout à fait perdu. Le plus flippant finalement n’est pas qu’on puisse aimer une voix synthétique, un programme technologique sophistiqué. C’est plutôt de constater que la fantaisie a disparu de la civilisation occidentale. Et du cinéma de Spike Jonze.
vincy
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