Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Noé (Noah)


USA / 2014

09.04.2014
 



PRIONS SOUS LA PLUIE





"Les serpents viennent aussi ?"

Avec Noé, son arche et son déluge, Darren Aronofsky s’attaque au mythe le plus généralement répandu parmi les civilisations humaines, parfaitement connu du spectateur potentiel, et dont le récit originel tient en à peine quelques pages. Un matériel de départ plutôt délicat, certes riche et universel, mais qui laisse pas mal de vides à combler. D’où le choix du réalisateur et de son coscénariste Ari Handel de s’inspirer par ailleurs de textes apocalyptiques parallèles, comme le livre d’Enoch, et d’en tirer un salmigondis d’inspirations auxquelles ils ont pris soin d’ajouter leurs propres préoccupations.

Ainsi, Noé s’éloigne de l’imagerie habituelle du mythe (Noé le débonnaire, l’arche accueillante, les animaux majestueux…) pour dresser un portrait peu amène de l’Humanité, emplie de haine et de violence, égoïste et cruelle. Mais à travers cet épisode mythique de l’Histoire, c’est clairement la société contemporaine qui est visée. Darren Aronofsky dresse en effet de voyants parallèles entre l’époque de Noé et la nôtre : épuisement des ressources naturelles, croissance exponentielle des villes, guerres incessantes pour des portions de territoires ou de quoi subsister… et surtout la personnalité de Noé, dépeint comme un fou de Dieu auquel les intégristes contemporains n’ont rien à envier.

C’est sans doute là l’un des points les plus intéressants du scénario réinventé par Aronofsky et Handel, faire de Noé un être marqué par l’hybris, persuadé de connaître le dessein divin et d’en être l’instrument infaillible. Sauf que le film n’est jamais très clair sur le point de vue qu’il adopte. On est même tenté de le prendre au premier degré, et d’y voir une apologie de l’obéissance aveugle, propagande assez indigeste sur la beauté de la création, la grandeur de Dieu, et la méchanceté crasse de l’homme. D’autant que le seul qui s’oppose frontalement à l’idéologie défendue par Noé, c’est son pire ennemi, le descendant du fratricide Caïn, par ailleurs caricature d'homme avide, violent et égoïste. Difficile de savoir si Aronofsky met dans sa boucle les propos les plus sensés (l’homme doit reprendre son destin en mains) pour contrebalancer maladroitement l’outrance du personnage, ou au contraire pour les dévaloriser.

Extinction volontaire

Quoi qu’il en soit, le film montre classiquement deux conceptions opposées du monde, qui permettent d’illustrer l’éternel combat entre le mal et le bien. Cette manière de dramatiser un récit par ailleurs bien maigre aurait probablement pu s’avérer efficace, à défaut d’être novatrice, si les deux scénaristes n’avaient fait le choix du manichéisme le plus absolu. L’enjeu final (la survie, ou non, de l’Humanité tout entière) est tellement mal amené qu’il en devient grotesque et artificiel, et donc ennuyeux. Tout ce qui se passe dans l’arche après le déluge est à ce titre complètement oiseux, prétexte à un suspense de pacotille, doublé d’une morale, au mieux naïve (le vrai bien triomphe toujours), au pire douteuse (Noé ne reconnaît jamais s’être trompé dans son jugement, il se contente d’exercer son "droit" à décider qui "mérite" de survivre et qui doit mourir).

Face au comportement auto-destructeur et inconscient de l’homme, la question de son extinction volontaire est pourtant légitime. Il est même assez malin d’avoir semé le trouble dans l’esprit de Noé, instrument de Dieu qui en vient, au fond, à douter des actes de son créateur. Mais le film n’explore jamais la portée métaphysique de cette question, se contentant d’en faire une idée monstrueuse et repoussoir pour mieux donner l’absolution à la race humaine.

Assez gonflé de la part d’Aronofsky que de cantonner son intrigue à un plan religieux plutôt basique, sans jamais tirer de leçons explicites du comportement de ses personnages. L’intransigeance de Noé, l’outrance de son seul contradicteur et l’obéissance respectueuse de sa femme et de ses enfants sont comme des données brutes qu’il ne cherche jamais à comprendre ou analyser. Il faut dire que la psychologie des personnages n’est pas vraiment le point fort du film. Balayant du revers de la main les aspects les plus intimistes de son intrigue, le cinéaste a clairement choisi de jouer la carte du grand spectacle et de la démesure.

Syncrétisme hétéroclite

Malheureusement, même sur ce terrain-là, ses partis pris de mise en scène déçoivent. Avec son esthétique hollywoodienne un peu vieillotte, Noé fait l’effet d’un péplum défraîchi qui ne bénéficie ni de la richesse visuelle du Seigneur des anneaux, autre adaptation d’un grand mythe universel, ni du sous-texte complexe d’un classique du genre comme Les dix commandements. Les scènes de foule et de bataille sont presque gênantes tant elles semblent n’être là que pour étoffer artificiellement le récit tandis que la musique, tonitruante et empesée, vient souligner la moindre émotion. Même l’arrivée des animaux dans l’arche est au fond assez décevante, "expédiée" maladroitement en deux ou trois séquences sans envergure. Au final, seuls les paysages sublimes d’Islande où a été tourné le film et les très beaux géants de pierre apportent un petit souffle épique à l’ensemble.

Mais si on est loin de la grande fresque héroïque dont rêvait Darren Aronofsky, peut-être ne faut-il pas tant la regretter que le huis-clos psychologique et philosophique que le mythe du déluge appelait. Comment survivre à la fin programmée de toute chose ? Comment surmonter la culpabilité face à la mort de millions de gens ? Comment continuer à croire en un Dieu capable d’une telle fureur ? Si le cinéaste refusait de se contenter du récit originel, il avait à sa disposition bien des pistes pour s’en réapproprier le sens. Au lieu de quoi, il a choisi la facilité d’un syncrétisme hétéroclite qui prend l’eau de tous côtés.
 
MpM

 
 
 
 

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