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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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SANS SUCRE
"On doit rester unis"
C’est avant tout une histoire d’amour lumineuse entre un homme et une femme qui font ce qu’ils peuvent pour avoir leur part de bonheur. Elle travaille dans une usine désaffectée qui tombe en ruine, lui apprend à nager aux enfants du village dans une piscine vide. Mais malgré l’absurdité de leur quotidien, les deux amants s’en sortent avec légèreté et humour. Jusqu’au jour où l’obstacle de trop en vient à menacer l’équilibre fragile de leur existence.
Carlos Lechuga filme ses personnages avec douceur dans de vastes plans fixes qui les magnifient. Très beaux, et même élégants, les deux acteurs sont à mille lieux des clichés sur la pauvreté. Pourtant, dans des scènes très courtes, réduites à un ou deux plans furtifs, et où l’image prend le pas sur le dialogue, leur détresse financière transparaît cruellement. De même, le contexte social dans lequel ils évoluent est brossé à petites touches à travers des détails : la propagande débitée d’une voix enjouée par la radio d’état, les piles de journaux que personne ne lit, les magasins vides… Même les autorités locales, filmées à distance, sans point de vue apparent, apparaissent dans toute leur splendeur obstinée et irrationnelle. A Cuba, on peut ainsi être condamné à dix ou vingt ans de prison pour avoir vendu de la viande sous le manteau.
Toutefois, le réalisateur ne questionne pas cette réalité qui est comme une donnée brute avec laquelle doivent composer les personnages comme les spectateurs. Il préfère l’observation presque impartiale à la critique ouverte d’un système dont le spectateur est parfaitement capable de voir par lui-même qu’il tourne à vide. Le film se concentre alors sur la manière dont les protagonistes se battent pour s’en sortir, quitte à renoncer à ce qui faisait jusque-là leur identité. Toujours sans jugement de valeur, Carlos Lechuga montre des êtres impuissants, pris dans la toile d’injustices presque banales et ordinaires. Ici, il n’y a pas de "méchant", personne à blâmer pour ce qui arrive. Juste la vie qui est comme ça. Et si Aldo et Monica en viennent à se renier eux-mêmes, à tricher et à mentir, eux non plus ne sont pas coupables. A peine victimes d’un système qui ne broie personne en particulier, mais tout le monde collectivement, comme sans le vouloir.
Paradoxalement, c’est malgré tout sur une sensation d’espoir que se clôt le film. Pas de happy end mièvre ou de Deus ex machina pour sauver le couple, mais une impression légère d’apaisement, d’accalmie passagère. Une dernière séquence mi-ironique, mi-bouleversante, où l’on sent que la vie continue, tout simplement.
MpM
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