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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Tom à la ferme
Canada / 2013
16.04.2014
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HOUSE OF LIES
«- Les hôtels ici ça marche que l’été. Du 2 juillet 8 heures au 3 juillet 8 heures. »
Avec Laurence Anyways, Xavier Dolan nous avait laissé perplexe. Cinéaste doué assurément : il le confirmait avec ce troisième long métrage. Mais on commençait à s’agacer de quelques tics, à commencer par une esthétique trop maniérée, une stylisation de sa mise en scène au détriment de l’émotion, un abus de références cinématographiques… On était loin de Comment j’ai tué ma mère ?, son premier film. Laurence était le prolongement un peu enflé des Amours imaginaires.
Voilà où nous avions laissé Xavier Dolan. On le retrouve blond, un peu grunge, un blouson en cuir, au volant d’une voiture fonçant à travers une campagne désespérément plate et terne du Québec. Le ciel est gris, la terre marron. Les lignes sont droites. La mort rode. La tristesse hante les paysages.
Dès les premières minutes, le jeune prodige québécois a changé de registre, revenant à une veine plus réaliste, moins glamour, qui nous avait séduit dans son premier film. Il met sans doute la barre trop haute dans la première moitié de Tom à la ferme, quitte à ne pas tenir sur toute la longueur. Mais de voir cette voiture filer au milieu de nulle part avec la chanson a capella "The Windmills of your Mind" (en version française) nous procure d’entrée de petits frissons.
Cet instant sublime introduit pourtant un film sombre, rempli de mystères, proche d’un suspens hitchcockien à base de soupçons et de sueurs froides. Blondie chez les Ploucs, ça n’est pas forcément joyeux. Isolé dans une ferme au bout du monde, Tom, créatif pub de la grande ville, est paumé. Il porte un deuil qui le désempare. L’atmosphère de ce lieu maudit est glauque : la brique des murs, la brume omniprésente, la boue… la ferme a beau être au n°69, rien n’inspire l’érotisme latent qui va soutenir une grande partie du récit.
L’ami, la mère, le frère : le mort a réunit trois personnalités étranges que tout sépare. Trois personnages aux portes de la folie. Chacun compose avec à sa façon : l’oubli de soi, Dieu, la violence. Les secrets vont se révéler parcimonieusement, pas forcément totalement.
Car tout est affaire de non dits et de mensonges. Dolan sait très bien le capter. Peut-être trop : à certains moments, il en oublie la logique de son récit et passe un peu trop vite sur les évolutions psychologiques de son personnage, le rendant un peu plus paumé qu’il ne l’est. En trois semaines, il passe d’une vie à l’autre, comme si la faille psychique dans laquelle il s’engouffre était béante. C’est parfois trop soudain. Comme s’il manquait quelques scènes, quelques images pour nous faire comprendre ce basculement du côté des fous.
Dolan n’aime pas le binaire et parfois son cinéma domine sa narration. Il aime questionner les tréfonds pulsionnels des êtres, les genres (sexuels et cinématographiques), et les contradictions intimes. Face à lui, il y a le beau-frère, aussi brun que Tom est blond, aussi grand qu’il est normal, aussi viril qu’il est fin, aussi sexuellement animal qu’il semble fragile. Leurs frustrations sont des bombes à retardement. Dolan aime troubler, et être troublé. Il s’est choisi le parfait alter-ego pour ça : l’hétéro « red neck » irrésistible. Rien dans le film ne présage que cet hétéro pourrait virer sa cuti. Mais tant de petits signes pourraient nous faire croire qu’il y a une attirance hormonale entre les deux, qui atteint des sommets avec la scène de tango, très ambivalente où Tom joue la femme, ou encore la séquence de la course dans les champs de maïs, proche du masochisme, pas loin de Deneuve recevant de la boue dans Belle de jour.
Cet onirisme discret sert à travestir les faits : mentir est une arme. A l’opposé de Laurence Anyways qui était en quête de vérité en se travestissant. Ici, il n’y a aucune place pour un amour imaginaire, ni même une copine imaginaire, ou même un changement d’orientation. L’arrivée d’une fille montréalaise montrera bien à Tom que sa place n’est pas dans cette ferme, qu’il y est inutile, même si on lui fait croire que sa vie d’homo urbain est stérile. Le fantasme ne peut durer qu’un temps. On peut toujours inventer une copine sacrément cochonne à ce fils défunt, ça ne fait que rassurer la mère et rire tout le monde.
Tous ceux qui se bercent d’illusions sont perdus. Se haïssent. En passant de l’autre côté du miroir, dans le monde des morts gardés par des traditionnalistes, Tom s’est laissé aveugler par un mirage, dans un monde où la vérité est honnie. Cette vérité enfouie excuse ainsi l’emprise d’une mère, l’homophobie, la brutalité du fils, …
Le réalisateur n’en oublie pas pour autant son formalisme. La peur est filmée comme des cauchemars. Les scènes de lutte ou de menaces flirtent avec le SM. Les rares intervenants extérieurs sont autant de gens qui font monter l’inquiétude par petites phrases ou longs récits et envoient des signes d’alerte à Tom, otage particulièrement docile, presque autodestructeur. Tout cela contribue à une atmosphère oppressante qui fait craindre un dénouement tragique, entre syndrome de Stockholm et crime accidentel. Il désamorce de temps en temps la tension par des touches d’humour.
C’est presque regrettable que la dernière demi-heure soit confuse, maladroite même, perdant son rythme. La scène du bar, où l’un des secrets va être révélé, casse le tempo de l’ensemble. Il faut attendre le final dans les bois, pour de nouveau, palpiter. Quelle issue ? Romanesque ? Passionnelle ? Dramatique ? Dolan aurait pu nous torturer un peu plus longtemps, avoir l’audace d’un Guiraudie dans L’inconnu du lac. Mais le cinéaste préfère un dénouement plus classique. Et s’offre une petite évasion, où toutes les cicatrices restent visibles. Tom n’est plus enfermé. Mais il n’y a toujours pas de synonyme à la tristesse qui l’habite. Comme toujours dans ses films, le personnage finit seul mais libre.
vincy
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